Le préfet d'Ile-de-France, Jean-François Carenco, a organisé fin octobre 2015 une " conférence régionale sur les campements illicites rom " pour tenter de trouver des solutions au dossier. A l'issue de trois heures de débats, le préfet a proposé la création de deux groupes de travail avec les élus pour arrêter, avant la fin de l'année, une nouvelle stratégie visant à proposer des solutions d'insertion et de logement pérennes pour les occupants assortie de demande de fonds européens de financement.
Pour Romeurope, seule association invitée à s'exprimer lors de cette conférence, " l'intitulé de cette conférence renvoie une fois plus les Roms à une situation illicite ". Evangéline Masson-Diez, ancienne responsable de la Mission roms du Secours Populaire, apporte un témoignage qui a fait grincer les dents du préfet...
Avec l'aimable autorisation d' Evangéline Masson-Diez
Les rats et le droit
Après la conférence régionale organisée par la préfecture d'Ile-de-France intitulée "campements roms" avec tout ce que ce titre comprend de discriminatoire et de stigmatisant, se tenaient hier et aujourd'hui les groupes de travail pour "favoriser une réflexion collective contribuant à la construction d'une stratégie régionale".
Pour faire simple, l'objectif est de partager des solutions pour "garantir des conditions de vie correctes" aux habitants des bidonvilles tout en continuant à les expulser. Car voilà il y a des droits en France, des avocats et des juges, et, malgré la toute puissance de la propriété privée, les procédures peuvent prendre des mois. Pendant ce temps, l'accès à la domiciliation n'est pas effective, la scolarisation est compliquée et les inscriptions au pôle emploi impossibles. Mais surtout les besoins élémentaires de sécurité des personnes tels que l'accès à l'eau, à des toilettes, à l'électricité, au ramassage d'ordures ne sont pas assurés. Et ce malgré les obligations légales qui incombent aux municipalités.
Pour faire simple, cette réunion devait être pragmatique. Recenser les expériences et les bonnes pratiques sans s'interroger sur les conditions de réalisations de ces bonnes pratiques. Ce qui marche là-bas marchera ici, c'est évident.
En fin de réunion, le représentant de la préfecture raconte une histoire*. Une histoire qui résume l'absurdité de la politique vis-à-vis des bidonvilles de nos jours. Il a été surpris d'apprendre que la nuit, sur le bidonville X, des petits enfants se faisaient mordre par des rats. Car "il y a des rats dans les bidonvilles" et ces derniers auraient un produit anesthésiant sur les dents qui fait que les enfants ne se réveillent pas lorsqu'ils se font mordre, explique-t-il. Mais si les rats rentrent dans les baraques, c'est parce que ces dernières sont construites à même le sol. La solution est donc simple, "il faudrait surélever les baraques... " Ainsi il est plus simple de déplacer la baraque de quelques centimètres en hauteur plutôt que de mettre à disposition des bennes, organiser le ramassage des ordures et dératiser le site. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer et cher ? Pourquoi régler un problème quand on peut le déplacer ? Et après tout pourquoi appliquer le droit ?
* Cet article a été publié le jeudi 5 novembre à 17h. Le vendredi 6 novembre, à 11h, la Préfecture d'Ile de France m'appelle et me demande, après quelques échanges, de préciser les éléments suivants :
" Cette anecdote a été évoquée pour illustrer la situation de certains campements. Elle avait été rapportée récemment à un représentant de la préfecture par un opérateur social. Ces problèmes, bien connus, illustrent la nécessité d'un renforcement de l'action en matière sanitaire, qui est justement un des thèmes des groupes de travail mis en place suite à la conférence régionale. Ce billet et la tonalité de cet article sont réducteurs et n'illustrent pas l'esprit constructif dans lequel se sont déroulés les réunions des deux groupes de travail mis en place. "
Née en 1981, Evangeline Masson a suivi des études de philosophie de l'art avant d'obtenir un master de relations internationales à la Sorbonne. Après avoir été volontaire dans le Ferghana ouzbek en 2002, elle s'est passionnée pour la région et y est retournée en mission indépendante l'année suivante. De décembre 2005 à décembre 2006, elle a voyagé avec À son retour, elle participe à quelques expositions, donne plusieurs conférences et écrit Patricio Diez à travers les quinze anciennes républiques de l'URSS pour dresser un bilan des aspirations de la jeunesse, quinze années après l'éclatement de l'Union.
Les Petits-Enfants de Lénine (Éditions Alta Plana), mélange de carnet de voyage et de portraits des jeunes rencontrés. De 2007 à 2015, elle travaille au Secours catholique auprès de la population rom vivant en France.
- Micha, Elena et les autres, Vies et visages de Roms en France (préface de François Soulage, Lacurne, 2011)
- Les Petits-Enfants de Lénine (préface de Dominique Lapierre, Alta Plana, 2008)
Conférence " roms " : " Tout ça pour ça "
Une conférence régionale sur la situation des bidonvilles roms s'est tenue à la préfecture d'Ile-de-France le 20 octobre. Réclamée depuis des années par la municipalité, ses conclusions, portées par le préfet de Région Jean-François Carenco, ont largement déçu le maire Philippe Bouyssou.
" Nous attendions des propositions concrètes du préfet de Région, mais il n'a avancé que la constitution de deux groupes de travail ", pestait le maire Philippe Bouyssou au sortir de la conférence régionale du 20 octobre libellée " sur les campements illicites " rom " en Ile-de-France ". " Tout ça pour ça ! ", s'est-il exclamé.
La réunion, réclamée depuis des années par la municipalité, a rassemblé les services de l'État, le président du conseil départemental du Val-de-Marne, des associations comme Romeurope, la Voix des Rroms ou la Fondation Abbé Pierre et des représentants de villes de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de Seine-et-Marne et de l'Essonne.
Une grande partie des échanges a consisté à la présentation des expériences de la présence de bidonvilles sur des territoires communaux. Il existe actuellement 132 bidonvilles en Ile-de-France où vivent 7 000 personnes, ressortissants Roumains ou Bulgares principalement (entre 15 000 et 20 000 au niveau national).
Dans ses conclusions, le préfet Jean-François Carenco a incité à la constitution de deux groupes de travail qui devraient rendre leurs conclusions d'ici un mois. Le premier devrait plancher sur les conditions de fonctionnement des " campements " permettant d'aller vers l'insertion. Le second sur les différentes possibilités de " sortie " des bidonvilles que le préfet a listé ainsi : retour dans les pays d'origine des familles, maintien sur les campements de fortune ou insertion (dans des villages dédiés, par un système de suivi diffus ou en proposant directement des relogements dans le parc social, assortis d'un suivi).
Quel sens politique ?
" Je crains que le résultat de ces réflexions débouche sur la pérennisation des bidonvilles existants, s'est inquiété Philippe Bouyssou. J'ai cru percevoir chez le préfet une vision qui voudrait que la situation d'une partie de ces familles relève d'un choix de vie, ce que je conteste avec la plus grande véhémence. "
Le maire relève cependant un aspect positif au terme des débats : la volonté de mettre en œuvre une politique globale visant, à l'échelle régionale, à mobiliser des fonds européens (FSE, Feder). " Mais pour faire quoi précisément ? Et avec quel sens politique ? ", s'est interrogé Philippe Bouyssou. Lequel a ajouté : " Je rejoins le positionnement de certaines associations qui se sont exprimées lors de la conférence. Il faut instituer un moratoire sur les évacuations de bidonvilles, lesquelles ne font qu'aggraver la précarité, alors qu'un minimum de stabilité est essentiel pour mener des programmes d'insertion. Il s'agit également inscrire ces processus d'insertion dans une logique de renforcement du droit commun et non pas créer de mesures d'exception. Je refuse fermement l'idée que ces populations seraient à part. Il s'agit de lutter contre la grande précarité qu'ils subissent. "