« La vie moderne » : les désenchantés ?

Publié le 06 novembre 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

La Biennale internationale d'art contemporain de Lyon, sur trois sites, présente "La vie moderne" proposée par le commissaire d'exposition invité Ralph Rugoff, directeur de la Hayward Gallery à Londres. Les deux pôles majeurs de cette biennale se situent au musée Musée d'art contemporain et dans l'immense bâtisse de la Sucrière, ancienne usine accueillant notamment la biennale. Le directeur artistique, Thierry Raspail, a décidé de mettre en place une stratégie sur  trois biennales : "Pour 2015 et jusqu’en 2019, j’ai choisi de cheminer avec « moderne », substantif et qualificatif. Moderne n’est pas modernisme et n’est pas non plus modernité, mais il (ou elle) peut les contenir, les happer ou les exprimer. Et nous savons parfaitement et ce depuis longtemps, depuis Rimbaud au moins, qu’« il faut être absolument moderne ».
Au premier abord il peut paraître risqué de rendre lisible le thème avancé par un commissaire d'exposition autour d'artistes internationaux nombreux dont les itinéraires ont leur motivation propre, indépendante de l'existence d'un tel regroupement. Puis, d'une visite à l'autre, se dégage une impression d'ensemble, une ligne souterraine qui relie certains points forts de cette imposante manifestation.

La technique ou l'enjeu du siècle

Assurément l'image clef choisie pour l'affiche de la biennale ne doit rien au hasard : cette cité balnéaire, aux couleurs joyeuses des parasols envahissant la plage surpeuplée. Surpeuplée ? Non, l'endroit est tragiquement désert. La vidéo de Yuan Goang-Ming  "Landscape of energy" a été réalisée dans les mois qui ont suivi le tremblement de terre de 2011, au large de la côte nord-est du Japon, et qui a conduit à la quasi-destruction de la centrale nucléaire de Fukushima. Les lents panoramiques filmés par des drones à Taïwan traversent les résidences abandonnées de Taichung jusqu’à l’école élémentaire d’Orchid Island avant de longer la côte balnéaire de South Bay, elle-même dominée par une centrale nucléaire. Ce terrifiant panoramique sans commentaire, appuyé par une bande son anxiogène, m'est apparu comme un des moments les plus forts de la biennale et donne, me semble-t-il, une grille de lecture sur l'ensemble de la manifestation. Car si le jeu sur le "moderne" peut s'envisager sur divers plan, plusieurs propositions de la biennale participent à ce regard-bilan sur un monde où la fuite en avant technique laisse derrière lui un héritage technologique, social et culturel délabré. Dans "La technique ou l'enjeu du siècle", mon ancien professeur Jacques Ellul énonçait dès 1954  : "D'outil permettant à l'homme de se dépasser, la technique est devenue un processus autonome auquel l'homme est assujetti."

"A7 (Route du soleil" ) 2015 Mike Belson

Par touches successives, la biennale de Lyon témoigne, à travers des œuvres aux propos fort différents, de cet héritage laissé aux hommes et aux femmes du vingt et unième siècle. Délabrement des objets avec"A7 (Route du soleil)" , installation spécialement crée par Mike Belson pour la biennale, présente des pneus explosés, récoltés sur les artères principales de villes importantes dans le monde. Délabrement social avec "Shoplifters" de Mohamed Bourouissa, série composée de portraits de voleurs pris sur le fait dans une épicerie de Brooklyn. Ces photographies ont été prises par les gérants au moment du délit et exposées ensuite dans la boutique en guise d’avertissement. Délabrement culturel avec "Border_Lyon" une installation dessinée par Lai Chih-Sheng  pour le MAC  qui présente, à partir d’une plateforme suspendue au-dessus d’un vaste espace, les résidus du processus de construction et de montage de la Biennale. Que reste-t-il de la production d’une exposition ? Des restes divers, des emballages destinés à être recyclés, des traces de pas de visiteurs sur la plateforme…

"Aura" Céleste Boursier-Mougenot

Même l'humour de Céleste Boursier-Mougenot, avec "Aura", dont la pluie de noyaux de cerises génère sur les cymbales et les peaux tendues d'une batterie un concert inédit,  n'échappe pas à cette tragique absence de l'homme. Absence ? Pas vraiment non plus car le déclenchement de cette pluie de noyaux naît de "l’aura électromagnétique de chaque possesseur de téléphone portable en visite à la Sucrière".
On le voit avec ces quelques exemples parmi d'autres, la condition de l'homme dans "La vie moderne" se trouve totalement déterminée par ce testament d'une époque grisée par le vertige de la marche en avant du "progrès" technique. Il nous resterait alors un monde désenchanté dans lequel les humains tenteraient de se frayer un  chemin  dans une survie étayée par les diktats d'une écologie faisant office de morale et où les artistes, aux repères égarés, s'efforceraient de retrouver les trésors perdus de l'humanité.

Photos de l'auteur

 

Biennale de Lyon "La vie moderne"
Jusqu'au 3 janvier 2016

La Sucrière
Les Docks
Le Musée d’art contemporain de Lyon (macLYON)
Cité Internationale
81 quai Charles de Gaulle, 69006 Lyon
Musée des Confluences 
(salle 15)
86 Quai Perrache, 69002 Lyon