Quatre CD pour la somme - un prix presque modique et à coup sûr raisonnable - de 20 € ! Voilà ce que nous propose en ces temps d'abbatements massifs notre ex-agitateur culturel aujourd'hui reconverti dans une politique de maximisation des dividendes. Après extraction de la calculette nichée quelque part dans un des recoins du menu de mon téléphone, j'en suis vite arrivé à la conclusion que le prix unitaire de la galette n'était plus alors que de 5 € (merci pour vos applaudissements). Ce que semblent avoir compris beaucoup de jeunes acheteurs qui manifestent ainsi leur intérêt pour l'achat de musique dès lors qu'on la leur propose à un prix abordable d'une part et totalement en adéquation avec le produit proposé d'autre part. N'est-il pas vrai en effet que, fabriqués à grande échelle, tous ces disques maintes et maintes fois amortis et largement bénéficiaires depuis leur première publication doivent être commercialisés aujourd'hui à un prix modique, véritable alternative au piratage ? Il y a là matière à réflexion parce que le désir d'un objet appelé disque existe toujours et que la dématérialisation absolue de la musique ne pourra se suffire à elle-même. Mais bon, cexi une autre histoire. Des jeunes, donc, qui compulsaient frénétiquement les bacs en se réjouissant d'accéder sans trop de mal à une musique qu'ils aiment, qu'ils connaissent mais qu'ils ont rarement les moyens de s'offrir. Et le plaisir de les écouter discuter : "Ah oui, Jeff Buckley, c'est vachement bien. T'as écouté sa reprise du "Hallelujah" de Leonard Cohen ? Ah ouais, je connais, mais y a un autre Buckley, celui-là c'est Tim, jamais entendu parler". Alors vous vous doutez bien que le quasi-quinquagénaire Maître Chronique, tout émoustillé à l'idée que la cause de cette musique était peut-être, au fond, moins désespérée qu'il ne l'imaginait, s'est empressé de leur venir en aide et de ramener sa science multi-décennale : "Oui oui, Tim, c'est le père de Jeff. D'ailleurs, mort quasiment au même âge que son fils, trop jeune, il n'avait que 28 ans. Et vous pouvez acheter "Goddbye and Hello", c'est vraiment un très bon disque. Mais c'est vrai que c'est ma génération tout ça..." Regards amusés, voire interloqués, du petit couple qui n'avait rien demandé mais qui se répandit en remerciements pour le conseil donné spontanément.

Qu'importe aujourd'hui puisque l'essentiel de la vie du groupe reste condensé - et Ô combien ! - dans la flamboyance de ses six premiers albums aux accents rock, folk, blues et marqués par le bouillonnement d'une phase créative très typique de cette époque. Souvenons-nous en effet, avec notre recul de ce début de XXIe siècle, à quel point la décennie 1965-1975 fut celle d'une vraie fécondité artistique et que le Jefferson Airplane est à cet égard très emblématique d'un mouvement de libération que beaucoup, de nos jours, aimeraient pouvoir vivre à nouveau.
Cette liberté, ce foisonnement, ces exagérations, ces désordres revendiqués n'étant plus à l'ordre du jour ni même compatibles avec la bonne et linéaire ascension des indicateurs boursiers pas plus qu'avec le chic factice et clinquant de notre navrante présidence, il nous reste aujourd'hui quelques témoignages brûlants qu'il s'agit de préserver.
Discographie sélective :
Jefferson Airplane Takes Off (1966)
Surrealistic Pillow (1967)
After Bathing at Baxters (1967)
Crown Of Creation (1968)
Blee Its Pointed Little Head (live) (1968)
Volunteers (1969)
Bark (1971)
Long John Silver (1972)
Thirty Seconds Over Winterland (live) (1973)
Le site officiel : http://www.jeffersonairplane.com/
En écoute : "Somebody To Love", enregistré le 3 novembre 1966, extrait de "Surrealistic Pillow".