Après une dizaine d’années durant lesquelles le groupe Magma avait connu une étonnante stabilité dans sa formation – on se souvient des multiples bouleversements des années 70 et de l’incroyable carrousel de musiciens hors normes ayant intégré la secte des hommes en noir tels que Jannick Top ou encore un Didier Lockwood tout juste sorti de l’adolescence – la bande à Christian Vander va devoir une fois de plus se recomposer et entamer, c’est tout le mal qu’on lui souhaite, une nouvelle étape dans sa désormais longue vie (on annonce une célébration de son quarantième anniversaire pour le mois de février 2009 au Casino de Paris).
Stella Vander m’a en effet fait part au téléphone ce week-end du départ assez brutal du pianiste Emmanuel Borghi (compagnon de musique de Christian Vander depuis 1987, ce qui en fait l’un de ses plus valeureux acolytes), aussitôt suivi de celui de sa femme Himiko Paganotti et d’Antoine, frère de cette dernière, tous deux chanteurs de Magma depuis pas mal de temps déjà.
Une séparation qui intervient au moment où le groupe est en studio pour l’enregistrement de son prochain opus, « Ëmehntëht-Rê » qui sera à considérer comme un disque charnière dans la mesure où il bouclera la deuxième trilogie majeure de Magma, dont les deux premiers volets ont pour nom « K.A », publié en 2004 bien que composé plus de trente ans auparavant, et « Köhntarkösz », daté lui de 1974 ! Et qui impose au groupe la nécessité d’opérer au plus vite un recrutement de qualité, sachant que des concerts se profilent et que le temps file à la vitesse de l’éclair. Parce qu’il faut avancer, toujours. Selon Stella, Christian semble plus que jamais décidé à poursuivre l’aventure et c’est tant mieux.
De façon plus générale, il semble bien que Magma vive actuellement un moment très particulier dans son évolution : Seventh Records vient de publier « Epok 4 », le quatrième et ultime DVD de la série « Mythes et Légendes » qui nous offre cette chance incroyable de rassembler dans le contexte intimiste et chaleureux du Triton l’essentiel de la discographie de Magma, interprétée en 2005 tout au long d’une série de vingt concerts. Unité de temps, unité de lieu, unité humaine, ne cherchez pas plus loin : si vous deviez vous lancer à l’aventure de la découverte de cette musique « Zeuhl », vous seriez fort bien inspirés d’en commencer par le visionnage intégral et chronologique. Tout y est : des premiers albums avec leurs arrangements de cuivres, suivis de la première trilogie « Theusz Hamtaahk » incluant l’hymne « Mëkanïk Destriktïw Kommandöh » jusqu’à ce phénoménal et incantatoire « Zëss » dont l’interprétation chantée par un Christian Vander délaissant pour un temps peaux et cymbales est d’une intensité remarquable, dans une captation fort réussie et dynamique qui est à mettre en particulier au crédit du jeune Marcus Linon, fils de Stella et de son mari Francis. Parce que Magma, il faut le savoir, c’est toujours, de près ou de loin, une sacrée histoire de famille.
Un moment crucial, oui, parce qu’avec ces enregistrements enfin réunis qui semblent fixer pour l’avenir un répertoire parfois délivré à son public dans un désordre pas forcément contrôlé entre 1970 et 1981, parce qu’avec ce prochain disque qui, aux dires de Christian Vander, clôt un cycle important, on n'est pas loin de penser qu’une nouvelle direction va peut-être s’imposer à celui qui dit n’être pas le propriétaire de sa musique mais simplement son récepteur. Et l’on veut croire que le renouvellement de la formation, bien que fruit d’un conflit humain et par conséquent non souhaité à l’origine, pourrait être le vecteur d’une dynamique et d’une transformation des couleurs de ce groupe à nul autre pareil. Qui cherche, toujours et encore, comment tracer ce chemin unique tout au long duquel nous avons été – et sommes toujours – nombreux à crapahuter, fidèles, râleurs parfois, exigeants souvent mais toujours prêts à être de la fête, oublieux quand il le faut des « facéties philosophiques » d’un Vander parfois habité d’idées sombres mais jamais tricheur sur scène, où il s’offre à son public comme s’offrait lui-même son maître en musique, John Coltrane.
Coltrane, encore et toujours, qui fait son retour dans le répertoire du groupe puisque, tout récemment, Magma interprétait sur scène le magnifique « Lonnie’s Lament » du saxophoniste, ré-arrangé par le vibraphoniste Benoît Alzary, une nouvelle recrue dont l’arrivée dans le groupe constitue un incontestable enrichissement.
Christian Vander fête cette semaine son soixantième anniversaire : souhaitons-lui une prochaine décennie de musique habitée et hautement dosée en énergie vitale. Souhaitons-lui aussi de conserver toute sa force qu’on voudra imprégnée d’une sagesse que lui confère désormais son expérience. On sait que jamais l’homme ne connaitra l’apaisement, mais on devine qu’il a encore beaucoup à nous dire.
Et nous serons là pour nous émerveiller, comme à chaque fois.