Ce que révèle la nuit, de Sylvie Blondel

Publié le 06 novembre 2015 par Francisrichard @francisrichard

Etienne de La Boétie, écrivain et poète du XVIe, mort à 32 ans, Evariste Galois, mathématicien du XIXe, mort à 20 ans, Raymond Radiguet, écrivain du XXe, mort à 20 ans, sont des comètes qui passent dans le ciel français des idées ou de la littérature, l'éblouissent pendant un trop court moment et en disparaissent, hélas, aussi vite qu'elles y sont apparues.

Peut-être faut-il ajouter désormais à cette liste prodigieuse un astronome suisse, mort à Paris en 1751, à 33 ans, chasseur de comètes justement, Jean-Philippe Loÿs de Cheseaux, un des deux protagonistes, avec Hector Lenoir du roman de Sylvie Blondel, Ce que révèle la nuit. La nuit, où les étoiles, disait-on au petit Hector, sont l'apparence que prennent les âmes défuntes pour veiller sur les vivants.

Hector Lenoir, est fasciné, comme l'est Sylvie Blondel, par le destin de ce jeune homme du XVIIIe, qui, sans doute sous l'influence de son grand-père maternel, le mathématicien Jean-Pierre de Crousaz, s'est intéressé très jeune aux sciences et aux idées nouvelles de son époque: "Le progrès scientifique et la connaissance des phénomènes naturels libèrent les esprits de l'ignorance et de la peur. Tous y croient, tous y travaillent avec enthousiasme."

En 2013, en tout cas, Hector s'est découvert une âme jumelle en Jean-Philippe: "Je me suis senti irrésistiblement attiré lorsque j'ai découvert par hasard son existence. Je me suis inventé un compagnon de solitude. Lorsque j'étais enfant, je m'étais créé un ami imaginaire et je jouais avec lui pendant des heures. Maintenant que je suis un homme, je joue avec mon double!

Ce qui fascine Hector Lenoir, et qui a fasciné Sylvie Blondel, c'est la précocité de Loÿs, aussi bien dans les connaissances scientifiques que dans la mort. Car, alors qu'il n'a pas 18 ans, Loÿs rédige ses premiers essais de physique et installe un observatoire astronomique dans le château familial de Cheseaux, près de Lausanne. Il publie, à 25, son Traité de la comète, qui le rend célèbre dans toute l'Europe et devient, à 29, membre correspondant de l'Académie Royale des Sciences.

En 2013, Hector se retrouve seul. Sa femme, Justine, a disparu. Elle ne lui a laissé, en partant, qu'un mot sur la table de la cuisine: "Adieu Hector! Je t'aime." Depuis, plus rien. Comment faut-il interpréter cette disparition? "Dans nos contrées, on se dit souvent "adieu" pour simplement signifier "à plus tard". Alors l'enquête sur Loÿs et sa fulgurante destinée occupe son esprit, si sa mélancolie demeure. Il décide, comme Sylvie Blondel, de faire un roman de la vie de l'astronome.

L'astronomie est bien belle, mais Jean-Philippe n'en est pas moins homme: "L'attraction entre hommes et femmes obéit aux mêmes lois d'attraction et de répulsion qui animent les astres. Des corps célestes en absorbent d'autres de manière irrésistible." Le scientifique, immergé dans son ciel étoilé, tombe amoureux d'un astre charnel, Isabelle, qu'il ne serrera qu'une fois dans ses bras et qui, mariée, lui est interdite. Comment Hector ne pourrait-il pas voir en Jean-Philippe un double, lui pour qui Justine est désormais également inaccessible?

Les existences d'Hector et de Jean-Philippe sont parallèles, mais les paralléles ne peuvent-elles pas se croiser dans une géométrie non euclidienne? Jean-Philippe est bien du XVIIIe, ce siècle des Lumières, où la langue française atteint des sommets. Hector est bien du XXIe, ce siècle de la globalisation des savoirs, où la langue française est souvent malmenée. Et Sylvie Blondel rend bien ces différences en adoptant finement la langue et les mots de chacun de leur temps, dans ce qu'ils ont de meilleurs.

Tout se dédouble dans ce roman plein de charme. Si Jean-Philippe est bien le double d'Hector, Hector lui-même n'est-il pas le double masculin de Sylvie? On pourrait le penser, parce que, rendant familiers l'un et l'autre, elle les fait aimer en révélant leur humanité. N'est-ce pas, après tout, ce que révèle la nuit à ceux qui restent éveillés quand elle vient et qui la regardent dans le fond de ses étoiles quand elles leur sont visibles?

Francis Richard

Ce que révèle la nuit, Sylvie Blondel, 158 pages, Pearlbooksedition

Livre précédent:

Le fil de soie, 172 pages, L'Aire (2010)

Vidéo de présentation de son livre par Sylvie Blondel: