Magazine Culture

Alain Mabanckou : Petit Piment

Par Gangoueus @lareus
Les tribulations de Moïse, le « sans-famille »

Alain Mabanckou : Petit Piment

Finaliste du Man Booker International Prize 2015, Alain Mabanckou est l’auteur d’une dizaine de romans. Dans ce roman enchanteur, il renoue avec la verve et la truculence de Verre Cassé (2005) et de Mémoire de porc épic (prix Renaudot 2006).
Ce roman d’apprentissage écrit à la première personne, relate les aventures de  Moïse, de son vrai nom,  Tokumisa Nzambe po Moe yamoyindo abotami namboka ya Bakoko  ('Rendons grâce à Dieu, le Moise Noir est né sur la terre des ancêtres, en lingala) dans le Congo des années 60. Nous  suivons cet adolescent âgé de 13 ans de l’orphelinat à Loango jusqu’à Pointe Noire, où il fera ses armes dans le petit banditisme dans les rues de la capitale, avant de sombrer dans une certaine folie. 
L’orphelinat est sous la férule de Dieudonné Ngoulmoumako, directeur cynique et corrompu, qui règne sur ce petit monde avec ses  neveux, les « surveillants de couloir». Il est l’incarnation de la fourberie et du mépris. Cependant, des figures sympathiques se détachent, à l’instar du père Moupelo à la 4 L cahotante, haut comme trois pommes, qui donne des cours de danse zouloue aux enfants, un personnage « plein de bonté », fantasque, très (trop ?) vite disparu du roman ; Bonaventure Kokolo, ami et confident de Moïse, à qui l’auteur prête une fausse naïveté et candeur; la femme de ménage, Sabine Niangui, qui soigne les plaies de Moïse, après qu’il a subi les coups de fouet du directeur. 
Moïse ne connaît pas ses parents, au rebours de son ami Bonaventure qui connaît sa mère, qui venait le voir un temps à l’orphelinat.  Moïse s’invente donc une famille pour affronter le monde. « Papa » Moupelo et Sabine Niangui lui apportent un réconfort affectif et adoucissent sa vie. L’abandon est un des thèmes de prédilection d’Alain Mabanckou.  Bonaventure n’aime pas quand Moïse l’appelle Kokolo, nom du père absent ; il a pourtant la chance de savoir qui il est, d’où il vient, à quelle ethnie il appartient, point de repère essentiel que Moïse ne possède pas. 
Alain Mabanckou : Petit PimentC’est un événement politique qui va ébranler le petit monde de Moïse. Un  socialisme à la congolaise est  instauré, avec l’indépendance du pays, et les religieux accusés de complicité avec les impérialistes sont renvoyés du pays. Moïse perd le père Moupelo. Désormais, les discours du Président et l’hymne national remplacent les chants et danses. De roman d’apprentissage, le récit devient une satire politique et sociale. L'orphelinat est un microcosme de  la vie politique nationale, avec ses conflits interethniques, son népotisme, etc. Le directeur licenciera aussi Sabine Niangui, pour des raisons ethniques, laissant à nouveau Moïse, sans famille. 
Les jours se succèdent alors au rythme des chants et des retournements politiques. Le directeur, une véritable girouette, ne réussira cependant pas à sauver son poste. Deux jumeaux sorciers, Songi Songi et Tala Tala qui terrorisent les enfants de l’orphelinat, font de Bonaventure, leur souffre-douleur, et Moise venge  son ami, en arrosant abondamment de piment la nourriture des jumeaux, ce qui lui vaudra  le surnom de Petit Piment. Il tombera dès lors sous la coupe des deux jumeaux et s’enfuira avec eux, vers la capitale Pointe Noire, abandonnant son ami Bonaventure. 
Cette première partie, alerte et truculente, clôt le chapitre de la vie de notre héros dans le monde fermé de l'orphelinat, avant qu’il affronte l'extérieur. 
La deuxième partie  s'ouvre sur la vie des gamins dans les rues de Pointe-Noire. Les deux jumeaux prennent la tête de la bande des gamins et deviennent de petits bandits. Petit Piment deviendra leur adjoint, mais il est un peu perdu. La rencontre de Maman Fiat 500, une mère maquerelle et ses dix prostituées zaïroises procure à Petit Piment un nouveau « foyer » : elle en fait son protégé. Mais la politique interfère à nouveau dans sa vie : le maire lance une opération de nettoyage de la ville et la Maman Fiat 500 et ses filles  disparaissent. Il perd alors pied  et nous assistons alors à son naufrage. Il consulte neuropsychologue, sorcier, en vain. 
C’est l’occasion pour l’auteur de se livrer à quelques réflexions sur la langue qui sont d’une grande cocasserie. Lors d’une consultation, Petit Piment évoque les compléments circonstanciels de temps, qui seraient à l’origine de son mal : 
« Si je n’ai pas mes compléments « circonstanciels » quand il faut qu’ils soient là, je ne peux donc plus me souvenir du temps, du lieu, de la manière, etc.. et mes verbes ils sont désormais tout seuls, ils deviennent des orphelins comme moi et dans ce cas, plus rien ne m’informe sur les circonstances des actions que je pose, c’est d’ailleurs pour cela qu’on appelle ces compléments « circonstanciels ». »  Ou alors «  Et quand on n’a pas de famille, il vaut mieux ne pas avoir un nom de famille »

Petit Piment est en quête d’une identité qui marquerait la postérité : il se sent une âme de Robin des Bois de Pointe Noire. Les événements s'accélèrent alors à un rythme trépidant  jusqu’au dénouement final.  
Corruption galopante, népotisme, conflits ethniques, abandon des enfants, racisme, esclavage, violence du monde, régimes politiques autoritaires avec instauration du parti unique, condition des femmes sont autant de thèmes qui émaillent le roman et qui sont chers à Mabanckou. Le récit plein de tendresse, écrit dans une langue riche et poétique, comporte des expressions très imagées et est d’une inventivité incroyable.  
C’est l’art d’un grand conteur ! Petit piment Alain Mabanckou, Éditions du Seuil, août 2015, 275 pagesCopyright Photo Internaz 
Un article de Vincente Duchel-Clergeau

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gangoueus 8178 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines