Présentation de l’édition française :
Mil neuf cent quarante-six. Un homme revient au bout de vingt ans dans le village où il a commencé sa vie d’adulte. Il n’y revient que pour un seul jour, mais c’est toute son existence qui va se jouer là, en quelques heures, au milieu d’un paysage de solstice d’hiver, entre une gare habitée par un militaire mélomane et une église où l’on célèbre d’obscures funérailles.
Dans ce roman où rien n’est laissé au hasard, où le réalisme le plus net débouche à tout moment sur l’énigme, où la frontière entre la réalité et le rêve bouge sans cesse, le lecteur ne sait jamais de quel côté du miroir il se trouve.
Quelle est cette faute dont cet homme cherche l’acquittement? Peut-on jamais être absous de ce dont nous sommes coupables?
Dès la première page de ce court roman, j’ai été sous le charme : la grâce, la magie, la mélancolie qui coule des mots de Gaétan Soucy, associées au paysage d’hiver traversé par Louis Bapaume m’ont conquise. Et pourtant je ne suis pas sûre d’avoir tout compris !
Les questions se multiplient, les réponses se dérobent, l’auteur joue avec finesse sur le dévoilement et l’épaississement du mystère. Qui est qui dans ce roman ? Qui sommes-nous vraiment ? Quels événements importants tissent notre histoire et quels sont ceux que retient notre mémoire pour nous construire ? Peut-on se faire pardonner les erreurs du passé, peut-on repartir à zéro ? Nous étions peut-être dans l’ordre du rêve, des fantasmes, de l’inconscient (Gaétan Soucy aime cette thématique, on le verra dans La petite fille qui aimait trop les allumettes) ? Finalement qui est vraiment l’homme qui repart à la fin du roman (une fin à la fois ouverte et… un rien flippante) ?
Le froid, le givre qui ont recouvert la France (le personnage au nom bien accordé de Françoise) sont amplifiés, magnifiés dans le paysage de neige et d’étoiles que découvre Louis Bapaume à l’approche de Saint-Aldor. Mais la neige se détache des arbres et efface ses traces sous son poids à l’instar de ce passé qui le hante et se dérobe à sa mémoire.
Il faut peut-être revenir aux premiers mots du livre pour obtenir une lumière : « La catastrophe essentielle qui fonde la réalité du monde, c’est la mort inéluctable de ceux qu’on aime. A qui prétendrait croire à l’irréalité des choses, il suffirait de rappeler la réalité du deuil. » (p. 13) Oui, la vie et la mort s’entrecroisent et se côtoient dans ce texte : sur le bref temps que Louis passe, quelqu’un meurt et quelqu’un naît. Mort et vie, rêve et réalité, deux compositeurs, deux soeurs jumelles… la partition du double adroitement jouée.
Oui, décidément, Gaétan Soucy est un auteur à part. Et un enchanteur des mots.
« Déjà la nuit allait tomber. Une sorte de lumière montait de la neige. Le vent avait découpé dans les dunes blanches des stries si précises et si fines qu’on aurait dit le travail d’un artisan. On pouvait les suivre des yeux sur le pourtour du vallonnement, douces comme le dessin des lèvres humaines. Ici et là un souffle faisait lever à ras du sol des tourbillons de poussière diamantine qui disparaissaient comme de la fumée. Une forêt apparemment infinie étendait ses ailes de part et d’autre du vallon. L’immensité du paysage, presque violente, fonçait dans tous les sens, gonflait l’espace comme un ballon. » (p. 15)
Gaétan SOUCY, L’acquittement, Boréal, 1997 (Boréal Compact, 2000 et Seuil, 2000)
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