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Journal d’un (faux) enseignant – Épisode 3 : Entre les Murs

Publié le 05 novembre 2015 par Swann

J'écris. J'efface. J'écris à nouveau. J'efface encore. L'inspiration n'est plus là ! Les confusions se font ressentir, alors que je souhaite aborder une thématique qui m'est chère dans ma vie d'enseignant. Je ne sais pas par où commencer. Je ne sais comment mettre les mots sur des maux de mon École.

Depuis mes débuts, jamais je n'ai connu de grands et beaux établissements, ceux dont beaucoup de jeunes enseignants rêvent, ceux où nous pourrions enseigner sans faire de discipline, en allant à un rythme soutenu, en n'ayant aucun souci. Et si je dois bien avouer que j'en suis fier (car oui, je préfère enseigner à des collégiens en difficultés), je ne peux que constater l'inégalité de ce métier en matière de fatigue.

J'ai connu les collèges ruraux de niveau moyen, j'ai connu les collèges de petite ville de niveau moyen, j'ai connu les collèges ruraux de niveau très faible et je connais désormais les collèges de ville de niveau très faible. Et il faut bien le dire, si ma matière ne change pas au fil des années, mon métier évolue relativement à mes élèves. Une heure de cours en REP+ est beaucoup plus usant qu'une heure de cours en REP, elle-même beaucoup plus usante qu'une heure de cours en collège moyen et ainsi de suite. Quand je parle d'usure, je veux dire par là que ma façon d'enseigner n'est pas la même en REP/REP+, où j'essaie de beaucoup plus individualiser le travail en classe, de faire des projets de groupes, etc. Pas de cours magistraux comme certains aiment le faire, non ! L'élève est acteur du cours.

À cette usure pédagogique vient malheureusement s'ajouter une usure dont je ne saurais trouver le nom. Ce que je sais, c'est que cette usure me donne envie de crier haut et fort sur les toits de mon établissement : RÉVOLTONS NOUS ! J'ai toujours entendu les Hommes et Femmes politiques louer l'École française, celle de la chance pour tous, celle de l'égalité pour tous, celle du collège unique. Or, plus je vieillis, plus j'enseigne dans des établissements qui me démontrent tout le contraire. NON, l'École n'est en aucun cas unique et égalitaire en France. Mais, de nos jours, personne n'a le courage dans le personnel enseignant pour lever la voix. Je n'entrerai pas dans des discours complexes, mais voici mes constatations depuis le début de l'année scolaire :

Premièrement : une politique " Entre les Murs "

Je n'ai en aucun cas les moyens intellectuels pour créer un débat avec chiffres à l'appui, réflexion et analyse approfondies. Je ne vais faire que vous relater mon quotidien d'enseignant dans un établissement REP+ de cité. Car il faut bien nommer les choses comme elles sont. Nous avons créé, dans notre pays, des collèges de cité. Le soir, quand je sors de mon collège, j'ai des barres de HLM qui m'entourent. En bas des barres, une agence Pôle emploi fait face au collège. De la cours de récréation, nous voyons les HLM. En salle de classe, nous avons vue sur les barres. Le soleil se fait rare et l'on se sent enfermé. La vie d'une majorité des élèves se résume donc en un unique quartier. Ils n'en sortent pas quotidiennement et tous les matins, midi et soir, ils passent devant l'agence Pôle emploi, qui généralement accueille leur famille.

Comment en 2015 pouvons nous encore laisser une politique urbaine se faire ainsi ? L'École devrait être un environnement de mixité sociale. Comment créer une mixité sociale quand nous créons un établissement de cité et que nous enfermons ces familles à faibles revenus, et dont certaines vivent même dans la rue.

Quand j'en parle à des collègues, j'ai l'impression que certains sont démunis et ne peuvent/veulent pas lutter contre cette politique menée depuis des décennies. Si la révolte ne vient pas des jeunes, pourquoi ne pourrions nous pas, nous, enseignants, se révolter contre cette politique " la haute société française d'un côté, les classes moyennes et populaires d'un autre ". C'est exactement les propos de la Palme d'Or 2008 où, malgré son parisianisme, François Bégaudeau décrivait parfaitement la vie d'un établissement classé ZEP. Une politique d'entre les murs révoltante !

Deuxièmement: répondre aux questions scolaires des élèves

Je me souviens dans ce film que François Bégaudeau pestait sur la perte de temps en cours, lorsque nous travaillons en ZEP. Je ne suis en aucun cas en accord avec lui, il n'y a aucune perte de temps, car il nous faut réévaluer notre métier et se le réapproprier par rapport à notre public.

Aussi, je sais que sur 55 minutes en classe, je ne travaillerais probablement que 25/30 minutes maximum. Être enseignant en REP, c'est aussi jouer le rôle de parent, d'assistant social, de frère ou de sœur. Je sais que beaucoup seront en désaccord avec ces propos, mais l'enseignant ne doit pas seulement faire son cours de français, mathématiques, histoire-géographie. Il doit faire plus, et c'est là qu'intervient cette usure dont je vous parlais en début d'article.

Pour ma part, jamais je n'ai été autant questionné, en plein cours, sur la nécessité de l'apprentissage des mathématiques ou même de l'école.

- M'sieur, mais sérieux, ça sert à quoi ce qu'on écrit ?
- C'est ton cours, ce que tu dois apprendre !
- Ah ok, mais ça sert à quoi le cours dans notre vie ?

- Monsieur, sérieux, on s'en fout de comment on trouve le résultat, il suffit de faire juste et c'est bon.
- Le résultat c'est bien, mais la méthode permet de montrer ta réflexion, comment tu réfléchis dans ta tête. C'est important aussi de montrer ton raisonnement.
- Non mais on s'en fout, vous savez comment on réfléchit, c'est pas la peine d'expliquer notre tête.

- Pour vous, à quoi servent les maths ?
- Ah je sais, moi, c'est pour pas se faire racketter dans la rue !
- Ça veut dire quoi " racketter dans la rue " ?
- Ben ouais, m'sieur, quand on achète des trucs, pour voir si on nous rend la monnaie, ou c'est comme les impôts pour voir si on se fait pas voler, quoi !

À toutes ces questions, il faut donner une réponse. Expliquer à nos élèves pourquoi ils apprennent une matière, pourquoi il est nécessaire de venir en classe. Et c'est usant, oui, de revenir chaque jour sur ce sujet " quelle est la nécessité de l'école et de ma matière ". Je me souviens d'une année, où je n'avais pas fait cours, suite à la remarque d'un élève : " Monsieur, de toute façon, qu'on ait des bons résultats ou pas, on sera chômeur. Alors, à quoi ça sert de s'épuiser pour ne rien faire dans le futur ? ". Cette question, je me l'étais prise en pleine gueule et je la comprenais, car je me l'étais posée plus jeune. Contrairement à certains enseignants, j'ai vécu ce que vivent mes élèves. Quoi qu'il en soit, depuis ce jour, je ne cesse de me remémorer cette question et d'y répondre chaque jour.

Troisièmement : répondre aux questions communautaires des élèves

À ces questions d'école, viennent se rajouter des questions que j'appellerais " communautaires ". À vouloir enfermer la jeunesse dans des quartiers, force est de constater qu'ils se posent des questions. Sont-ils normaux ? Sont-ils français comme tout le monde ?

La réponse est évidemment OUI, mais les questions communautaires prennent de plus en plus une place prépondérante :

- Monsieur, votre nom c'est pas français. Vous venez d'où ?
- Je suis français comme toi.
- Ah mais je le suis pas moi, regardez mon nom.
- Tu es né où ?
- En France.
- Et tes parents ?
- En France.
- Tu es donc français, d'origine étrangère. Tout comme moi. C'est différent notre nationalité et nos origines.

- Monsieur, je serai pas là jeudi, c'est ramadan.
- Non, ce n'est pas le ramadan !
- Qu'est ce que vous en savez, vous êtes pas arabe !
- Et pourquoi je ne serais pas musulman ?
- Ben, ça se voit à votre tête !

Je vous passerez d'autres moments de ma vie quotidienne que j'aime, car je passe outre mon rôle de professeur de mathématiques, et je deviens enseignant. J'explique à mes élèves la différence entre une nationalité, une origine et une religion. J'explique pourquoi j'ai un nom d'origine étrangère, mais je suis quand même français, tout comme eux. Jamais je n'avais remarqué cet afflux de questions communautaires, et jamais je n'ai été aussi choqué de les entendre. La politique et les mots des politiciens en sont pour partis responsables. Je n'épiloguerai pas sur ce sujet et je vous renvoie à l'excellent numéro de Libération écrit pas le Bondy Blog (Lundi 26 Octobre)

La politique française, depuis des décennies, à décidé de délaisser une partie de ses citoyens. La politique française, depuis des décennies, a décidé de délaisser sa jeunesse. Il est normal qu'en 2015, un jeune de banlieue se sente seul, démuni face à son futur. Venant d'une famille de banlieue, j'ai vu l'évolution de ces quartiers tout au long de ma jeunesse. Et je dois bien avouer que cela me rend triste. Je ne sais comment, en tant qu'enseignant, je peux redonner le moral à cette jeunesse, à ces banlieues décriées à tort par les médias et les politiciens. Mais je suis probablement en train d'outrepasser mon rôle d'enseignant ....

Conclusion : Grande Éducation Malade

Lundi 26 Octobre, Libération et le Bondy Blog se sont associés pour un numéro spécial afin de commémorer, tant bien que mal, les 10 ans de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. Dedans, nous pouvions y retrouver une analyse enrichissante : " On dit émeutes. Rares sont ceux qui parlent de révoltes pour exprimer l'embrasement de la France en 2005. La " banlieue " encore un mot discutable, se retrouve enfermée dans les vocables de " violence " et " d'émeute ". Le substantif " émeute " procède d'une disqualification. Il procède d'une annihilation de tout esprit de révolte. L'individu-sujet n'est plus [...] L'idée " d'émeutiers " boucle le processus de délégitimation d'individus issus de territoires à fantasmes "

Il faut bien le dire, je suis 100% d'accord avec cet édito du Bondy Blog. Oui, en 2005 la jeunesse française, que la politique avait oubliée pendant près de 40 ans s'est révoltée. Malheureusement, 10 ans plus tard, j'ai l'impression que ces révoltes n'ont pas toujours été utiles. Nous sommes restés dans une ghettoïsation scolaire ! L'école est l'atout de notre pays. Elle est celle qui peut changer la donne. Or, que ce soit du côté enseignant ou du côté des élèves, aucune révolte ne surgit. J'en suis triste et je me décide alors d'écouter en boucle le slam de Grand Corps Malade : " Éducation Nationale ".

L'enseignement en France va mal et personne peut nier la vérité
Les zones d'éducation prioritaires ne sont pas des priorités
Les classes sont surchargées pas comme la paye des profs minés
Et on supprime des effectifs dans des écoles déjà en apnées

Au contraire faut rajouter des profs et des autres métiers qui prennent la relèveDans des quartiers les plus en galère, créer des classes de 15 élèvesAjouter des postes d'assistants ou d'auxiliaires qui aident aux devoirs
Qui connaissent les parents et accompagnent les enfants les plus en retard

PS : Cet article fut difficile à écrire et plus de 10 jours sont passés entre sa rédaction et sa publication. Difficile d'écrire sur une passion qui nous rend triste et que nous avons vécue de l'intérieur en tant qu'élève et désormais enseignant

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