Pendant plus de vingt jours, il ne remet pas les pieds au cabaret. Ses amis le cherchent, le sollicitent, mais, à tous, il répond qu’il travaille. Ils épinglent son penchant pour la pénitence. Jean n’essaie pas de les démentir mais, en réalité, ce qu’il veut, c’est quitter Paris la tête haute. Il se fixe des cadences, s’oblige à former au moins vingt vers par jour. Au bout de huit, il en voit le bout mais revient en arrière, perce des forages autour d’un seul mot, corrige sans relâche. C’est tout le contraire d’une pénitence, se dit-il, ça me grise autant que le vin. Jadis, lorsqu’il écrivait, son sang coulait avec lenteur dans ses veines, désormais il est fluide, rapide, fouetté. Ou peut-être n’avait-il tout simplement pas encore bien identifié la sensation de plaisir, celle qui soulève le cœur, redescend, enflamme le bas des reins, au passage du nerf sympathique.Cette eau-là, qui s'appelle littérature, n'est pourtant pas pure. Au contraire, elle draine des matières diverses qui lui donnent une couleur, une saveur sans pareille. Titus n'aimait pas Bérénice est un beau, un très beau roman. Un plaisir de prix littéraire. Le jury Médicis a aussi donné son prix du roman étranger à Hakan Günday, pour Encore (Galaade), que je n'ai pas lu. Mais qui, pour le peu que j'en sais, devrait éveiller des échos avec Sauve qui peut la vie (Seuil) le livre de la lauréate du Médicis Essai, Nicole Lapierre. Je conseille à ses lecteurs, pour entendre sur un sujet d'actualité un discours bien moins convenu que celui dont on leur rebat les oreilles, de se précipiter sur le chapitre "L'héroïsme des immigrés".
Magazine Culture
Chaque année, il y a des éditeurs heureux pendant la grande semaine des prix littéraires. Des malheureux aussi, mais on ne va pas en parler, je préfère rester à la joie de voir Nathalie Azoulai recevoir le Prix Médicis avec un superbe roman, Titus n'aimait pas Bérénice, et associer à cette joie un éditeur de qualité, P.O.L., qui depuis 2011 est salué une année sur deux par le Médicis. Pour la troisième fois, donc.
La langue glisse entre le passé - Racine et sa tragédie Bérénice - et le présent - la tragédie que vit la Bérénice d'aujourd'hui, quittée par Titus. La langue creuse le réel et sa chimie mystérieuse crée des effets de lumière qui nous expliquent, par le détour de la poésie, ce que nous vivons. Ou, au moins, ce que vit Bérénice. Voyez comment Nathalie Azoulai nous montre Racine au travail: