Pétrole ! (Upton Sinclair)

Publié le 04 novembre 2015 par Despasperdus

« il avait observé qu'un syndicat ouvrier permettait à un tas d'officiels de vivre du travail des véritables ouvriers. Ces officiels devenaient eux-mêmes une classe, leur pouvoir une sorte d'investiture, et c'était d'eux-mêmes qu'ils s'occupaient et non du travail. Ils devaient naturellement justifier leur propre existence, aussi étaient-ils amenés à faire naître chez les travailleurs un mécontentement dont autrement ceux-ci ne se seraient pas avisés. »

En commentant, en ces lieux, Un pays à l'aube, l'excellent rédacteur en chef de SimplyLeft m'a vivement conseillé la lecture de Upton Sinclair. Alors, quelques mois après... ;-)

Pétrole ! est un roman fleuve et dense de près de 1000 pages, en version édition de poche, qui se lit aisément, tant le récit est captivant à plus d'un titre, notamment parce que le principal personnage se retrouve dans une situation centrale lui permettant d'avoir une vue d'ensemble.

« Pas du tout ! La démocratie, c'est le but, la seule chose qui vaille la peine qu'on travaille pour elle. Mais elle ne peut exister tant que nous n'aurons pas brisé l'étreinte des puissances d'argent qui nous étranglent. »

Il traite du lien réciproque très fort entre un fils et son père, de l'amitié entre un gosse de patron et un jeune prolétaire, de la découverte de l'amour, de croyances, mais surtout d'un éveil à la chose publique et de politique.

« Le mouvement travailliste avait ses traditions : il s'agissait d'obtenir aux ouvriers une réduction des heures de travail et une augmentation de salaire. Les officiels vieille mode ne démordaient pas de ce programme. C'étaient pour la plupart d'anciens ouvriers qui avaient trouvé dans l'organisation politique, au sein du syndicat, un moyen de couper à la nécessité du labeur quotidien. Toute nouveauté signifiait pour eux un danger de perdre leur rond-de-cuir et d'avoir à retourner au travail éreintant. Ils avaient appris à négocier avec les patrons et à fumer les cigares de ceux-ci, (...) »

Pétrole ! décrit les conditions de vie et du travail des prolétaires aux USA, l'exploitation et l'exaspération des travailleurs, les grèves et la répression policière au mépris des lois avec le soutien des autorités locales et fédérales, quelques années avant et après la première guerre mondiale, mais Upton Sinclair évoque également et davantage que Dennis Lehane l'influence des événements internationaux dans le "débat" politique et dans le mouvement ouvrier.

« Mon petit gars, dit-il, enfoncez-vous bien cela dans la tête : je peux acheter n'importe quel dirigeant de syndicat, aussi bien que n'importe quel politicien ou que n'importe quel type qu'une bande de ballots peut élire à une charge. (...) L'argent n'est une force que lorsqu'on s'en sert, et la raison pour laquelle je peux acheter le pouvoir, c'est qu'on sait que je peux m'en servir, ou alors, nom de D..., ils ne me le vendraient pas. »

Upton Sinclair nous plonge aux premières années de la Révolution bolchevique avec les espoirs et les craintes qu'elle suscite chez les travailleurs américains, les soldats occidentaux enrôlés de force contre elle aux côtés des armées blanches après l'armistice, et dont les témoignages diffèrent de la propagande officielle, ou les conflits au sein même du parti ouvrier entre les roses sociaux démocrates et les rouges acquis à Lénine... Un récit susceptible de faire prendre conscience aux plus naïfs que le capitalisme, en particulier américain, a le sang des exploités sur les mains.

« je m'étais imaginé que j'allais faire des tas de choses épatantes. Mais, ces dernières années m'ont appris qu'un ouvrier compte bien peu dans ce monde capitaliste et qu'il doit rappeler la place qu'il occupe. Nombre d'entre nous vont en prison, de plus nombreux encore à la mort. la seule chose dont nous devons nous pénétrer, c'est que nous contribuons au réveil des esclaves... »

Un grand roman.