Ce titre est l’un des trois, avec La couverture du soldat de Lídia Jorge et D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds de Jón Kalman Stefánsson, à avoir servi de prétextes pour m’inscrire aux rendez-vous de Sandrine pour l‘Europe des écrivains. En effet, j’ai lu Faire l’amour et Fuir, les deux premiers opus de la tétralogie de Jean-Philippe Toussaint il y a maintenant près de deux ans, et je repoussais sans cesse la lecture du troisième. C’est maintenant chose faite.
Objectivement, La vérité sur Marie est à la hauteur du style de l’auteur, précis et travaillé, déclinant une ambiance ultra-contemporaine et extrêmement visuelle déjà présente dans Faire l’amour. Le soin apporté aux détails descriptifs laisse nécessairement une forte empreinte dans l’imaginaire du lecteur :
« Alors, lentement, apparut la croupe du pur-sang – sa croupe noire, luisante, rebondie – , à reculons, les sabots arrières cherchant leurs appuis sur le pont, battant bruyamment sur le métal et trépignant sur place, très nerveux, faisant un écart sur le côté, et repartant en avant. Il ne portait pour tout harnachement qu’un licol et une longe, une courte couverture en luxueux velours pourpre sur le dos, et les membres finement enveloppés de bandages protecteurs et de guêtres de transport fermées par des velcros, les glomes et les tendons momifiés de bandelettes pour éviter les coups et les blessures. C’était cinq cents kilos de nervosité, d’irritabilité et de fureur qui venaient d’apparaître dans la nuit. »
Cette description chevaline est magnifique, vous en conviendrait peut-être. Malheureusement, c’est bien là que le bât blesse pour moi – l’ouvrage plairait sans doute d’avantage à Valentyne du blog La jument verte. Dans La vérité sur Marie, le narrateur nous en dit presque plus sur le pur-sang de Jean-Christophe de G. – élément central du récit – que sur la si mystérieuse Marie que l’on suit de manière parfois détournée depuis trois livres déjà. J’en ai trop peu su finalement sur cette femme m’apparaissant ici comme une pimbèche superficielle et écervelée. Elle m’agace du peu que j’en lis. L’épisode du pur-sang s’échappant dans l’aéroport dont la narration est parfaitement maîtrisée – correspondant par ailleurs à un bon tiers de l’ouvrage -, s’il m’a nettement tenu accrochée au texte, m’a par ailleurs laissée perplexe quant à son utilité dans ce livre-ci avec ce titre et ce sujet annoncé qu’est Marie. Enfin, le vocabulaire technique propre aux hippodromes aura achevé de me vexer : j’ai eu le sentiment d’un étalage pédant de connaissances sur un sujet que je n’ai pas souhaité aborder, servant d’avantage la technique littéraire que les besoins narratifs, et qui fondamentalement ne m’aura pas franchement interpellée.
L’entretien avec Jean-Philippe Toussaint en fin d’ouvrage est largement consacré à l’anecdote de la fuite de l’équidé, l’auteur s’en vanterait presque. Celle-ci est tellement centrale qu’elle en devient l’objet phare du récit. Mais clairement, je n’ai pas su me prêter au jeu tant j’ai cherché Marie sans jamais la saisir. J’en suis ressortie frustrée – c’était peut-être d’ailleurs l’objectif assumé de l’auteur.
Toutefois, je me dois de nuancer mon jugement, ce livre présente de nombreux intérêts à la fois par le style littéraire, la puissance des images et la construction des personnages. Un ami me soulignait justement la richesse de ce dernier point. En fonction de l’évolution, des séparations et des retrouvailles des deux protagonistes, Marie apparaît chaque fois sous un angle différent, sous un nouveau jour selon les dispositions d’esprit de son compagnon délaissé ou désiré. Et c’est toute la complexité de Marie que l’auteur aurait voulu montrer, aussi bien que le changement de regard de l’observateur amoureux ou distant, passionné ou fatigué de cette relation qui part à vau l’eau. Certes, après que l’on ait bien voulu me pointer du doigt cette évolution, je suis forcée d’admettre que j’ai lu ces trois volumes avec beaucoup trop d’écart entre chaque pour bien en saisir le sens global, – sans compter que je n’ai pas encore lu Nue, le dernier et parait-il le meilleur portrait de Marie Madeleine Marguerite de Montalte.
Je suis donc nécessairement passée à côté de tout ce qui fait la richesse de cette tétralogie aux couleurs de la Belgique.
La vérité sur Marie – Jean-Philippe Toussaint
Les éditions de minuit, 2013, 219 p.
Première publication : 2009
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