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Manque de fair play : l’unité arabe minée par le foot

Publié le 03 novembre 2015 par Gonzo
Le Palestine Stadium à Gaza après les bombardements de 2012Le Palestine Stadium à Gaza après les bombardements de 2012

Comme le montre assez la trajectoire personnelle de Michel Platini, jusqu’à ses ennuis récents en tout cas, le foot est un univers où l’on peut faire fructifier utilement un capital de notoriété gagné sur les stades. Dans le monde arabe aussi, l’administration du ballon rond est un domaine fertile à bien des ambitions, mais elles se fondent moins sur la réputation sportive. Être responsable d’une fédération nationale de football, ou mieux encore régionale (la Confération asiatique en l’occurrence, un des six organismes qui composent la FIFA), est une intéressante voie de promotion pour quelques outsiders, surtout si l’on a la chance d’appartenir à une riche lignée dynastique.

Prévues àla fin du mois de février prochain, les prochaines élections pour la présidence de la FIFA mettent ainsi en lice, du côté arabe, deux candidatures que l’on pourrait presque qualifier de « royales ». Le premier à s’être déclaré est le prince Ali ben Al Hussein, fils de feu le roi Hussein de Jordanie comme l’indique son nom. Candidat malheureux contre Sepp Blatter lors de l’ultime et tumultueuse réélection de ce dernier à la tête de la FIFA en juin dernier, il a fait part de sa décision, de façon très peu princière voire même assez cavalière, juste au moment où Michel Platini se voyait lui-même suspendu de l’UEFA, et donc mal parti pour le trône suprême de la FIFA.

Bénéficiant de forts soutiens chez les riches dynasties du Golfe arabe, Ali ben Al Hussein était a priori bien placé dans la compétition jusqu’à l’arrivée d’une autre candidature, d’une extraction tout aussi noble, puisqu’il s’agit du très puissant cheikh Salman ben Ibrahim Al Khalifa, membre de la dynastie au pouvoir au Bahreïn et actuel président de la Confédération asiatique de football (où il a d’ailleurs réussi à marginaliser son rival jordanien en l’écartant du bureau exécutif). Cette arrivée d’un postulant du Bahreïn a été un rude coup pour le prince jordanien nous disent les journaux. On pourrait aller plus loin en affirmant qu’elle ruine presque à coup sûr toute ambition arabe en répartissant les voix acquises sur deux candidats au lieu d’un seul. De plus comme le souligne James Dorsey, expert souvent cité sur ces questions, le candidat Bahreïn est non seulement fortement suspecté de corruption mais, de plus, assez largement impliqué dans la répression, dans son propre pays, de sportifs, y compris deux membres (chiites) de l’équipe nationale de foot ! Rien de bien glorieux pour la grande Nation arabe dans toutes ces petites combines, vouées à l’échec en plus de souligner davantage la ruine du rêve de l’« unité arabe »…

Outre Michel Platini et ces deux princes arabes, figure parmi les concurrents en course pour la présidence de la Fifa  un autre Français, Jérôme Champaigne, un ancien diplomate connu précisément pour son opposition à l’ancien capitaine du Onze national. Considéré comme son bras droit, l’Italo-suisse Gianni Infantino fait également campagne, ainsi que Musa Bility, un homme d’affaires libérien qui voudrait bien être soutenu par l’Afrique. Mais celle-ci préfèrera sans doute la candidature de Tokyo Sexwale, un Sud-africain, ancien compagnon de détention de Nelson Mandela, à la tête, depuis juin dernier, d’un très stratégique Comité de surveillance de la FIFA en Israël et Palestine.

On a déjà évoqué dans un billet récent la question, assez épineuse pour les Israéliens, d’une très possible éviction de la FIFA en raison des innombrables entraves à la sacro-sainte loi du sport qu’impose, aux yeux de l’occupant, la colonisation rampante de la Cisjordanie. À l’origine de tous ces problèmes, on trouve Jibril Rajoub, responsable de la Fédération palestinienne de football, par ailleurs ancien patron de la Sécurité intérieure palestinienne, membre du Comité central du Fatah et candidat potentiel à la succession de Mahmoud Abbas…

Mais cette fois, la partie que joue le très remuant Jibril Rajoub le met aux prises, non pas avec les Israéliens mais avec les Saoudiens qui refusent de se déplacer à Ramallah à l’occasion d’un match contre les Palestiniens, pour ne pas avoir à se soumettre à des contrôle israéliens (alors que l’équipe des Émirats a, quant à elle, accepté d’en passer par là, il y a quelques semaines de cela). Au moment de la publication du billet déjà mentionné, les Saoudiens se trouvaient dans l’embarras car la FIFA était revenue sur une précédente décision qui autorisait la tenue du match sur terrain neutre, quelque part où la susceptibilité nationale des joueurs saoudiens ne serait pas mise à l’épreuve…

Depuis, et même si la FIFA a eu l’obligeance de préciser que la fédération palestinienne ne sera pas sanctionnée si le match se tenait ailleurs, Jibil Rajoub s’obstine, contre vents et marées, à exiger que le match ait lieu en Palestine. Rien ne peut le faire changer d’avis ; ni les amicales et fraternelles « pressions » princières (comprendre : financières) exercées par les Saoudiens via les responsables de l’Autorité palestinienne, ni les bruyantes interventions d’un député jordanien très en vue, ni même les vociférations d’un célèbre chroniqueur sportif sur MBC, une des principales chaînes TV arabes (à financement saoudien) ne peuvent fléchir l’ancien « terroriste » palestinien. Jibril Rajoub se refuse à admettre que, « dans ce contexte politique et religieux », l’Arabie saoudite ne peut accepter que son équipe nationale transite par Jérusalem. Le Royaume a déjà bien assez de problèmes dans la région pour ne pas y ajouter, en plus, la reconnaissance implicite de l’entité israélienne et l’abandon très symbolique de cet autre Lieu saint musulman qu’est la mosquée Al-Aqsa…

Maître du jeu à défaut d’être le patron sur le terrain, Jibril Rajoub s’est même payé la tête de ses adversaires en suggérant qu’ils acceptent, sportivement somme toute, de perdre les trois points de la rencontre puisque l’absence de toute normalisation avec l’entité sioniste leur tient tellement à cœur ! En ironisant de la sorte sur le dos des Saoudiens pas assez fair-play à son goût, Jibril Rajoub sait qu’il met dans son jeu une bonne partie de l’opinion locale, ravie de se venger un peu des avanies que lui font subir les richards du Golfe. Et s’il se permet de les mettre en boîte de la sorte, c’est fort probablement parce qu’il bénéficie également du soutien d’un rival dans la région comme le soulignent certains commentateurs qui pensent très fort au Qatar sans doute.

En attendant, une fois de plus, la Nation arabe étale toutes ses divisions, y compris sur le tapis vert de l’internationale du foot. À tel point qu’un des éditorialistes les plus importants dans la région, Abdel-Bari Atouane, a estimé nécessaire de se fendre d’un article sur la question. Pour éteindre ce nouveau risque d’incendie, ce grand militant de la cause palestinienne et de l’unité arabe propose une solution toute diplomatique : la tenue du match à Gaza, ce qui permettrait aux joueurs du Golfe de passer par Rafah. Si les « frères égyptiens » acceptaient, pour une fois, de la laisser ouverte, cela fairait une belle porte de sortie diplomatique !


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