On parle beaucoup de la réforme du collège en ce moment, c'est un fait.
Sache que pendant ce temps, au lycée, on en profite pour faire passer des réformes internes qui sont au moins tout aussi alarmantes.
C'est l'histoire d'un système pervers que je m'en vais te conter, lecteur.
La triste histoire de la victoire perfide du "diviser pour mieux régner" qui s'applique avec une facilité déconcertante, en ce moment, dans l'Education Nationale.
"Une ruse vieille comme le monde!" me diras-tu.
"Comment imaginer que les enseignants se laissent berner, eux qui en ont vu bien d'autres, par le passé?"
Rien de bien compliqué.
Dans un contexte difficile (élèves de plus en plus nombreux, de plus en plus difficiles à gérer, taches démultipliées (à l'échelle de ma "courte" carrière (15 ans quand même) je réalise combien ce qui nous est demandé est de plus en plus lourd à porter), pression des parents d'élèves nettement augmentée,...) où chacun se sent mal, il est facile de faire accepter l'inacceptable à certains en leur proposant en échange un peu plus de confort individuel.
C'est ce qui s'est passé dans mon établissement. Un lycée du sud de la région parisienne. Un lycée banal.
En fin d'année dernière, on a décidé d'augmenter les effectifs des groupes de sciences expérimentales de 18 à 24 (alors que les salles ne sont pas adaptées pour accueillir 24 élèves, que le matériel n'est pas disponible en quantité suffisante pour nous permettre de travailler dans de bonnes conditions...) pourrissant ainsi la vie des profs de physique-chimie et de SVT (coucou) en proposant aux autres matières, dont les enseignements n'impliquent pas de manipulations, de diminuer leur effectif "en échange".
Ce qui, il y a quelques années, aurait provoqué la fureur des syndicats est passé en force et -tiens toi bien- a même été soutenu par les dits syndicats (qui semblent n'être plus qu'un rassemblement de profs qui se cachent derrière cet écran de protection pour garantir leur propre petit confort sans se préoccuper du devenir de l'Education à proprement parler).
Le chef d'établissement étant souverain, après nous avoir fait miroiter la possibilité de s'opposer à cette réforme interne si nous le souhaitions, il a finalement imposé sa décision ( voir l'épisode 1 du drame, par ici).
Tristesse et apitoiement, les profs de sciences expérimentales se sont résignés et ont pris le chemin de l'école pour découvrir, à la rentrée, les nouvelles conditions de travail qui les attendaient.
Elèves les uns sur les autres lors des contrôles et en TP (coude contre coude)(une élève portant une minerve a rencontré beaucoup de difficulté pour composer, incapable de bénéficier d'un espace suffisant pour se mettre à l'aise pour écrire)(sinon, tout va bien, hein), 4 personnes devant un écran d'ordinateur placé en bout de rangée en classe (autant te dire que les deux qui sont à côté de l'écran suivent et que les deux autres sont perdus pour la séance)...
On a géré, tant bien que mal, comme on a pu.
Plus d'élèves c'est aussi -en plus de séances nettement plus éreintantes- plus de copies, l'air de rien c'est beaucoup de travail en plus, et ce changement passe tranquillement sans qu'aucune forme de dédommagement ne soit envisagée. OK.
Passe encore.
Admettons.
On absorbe le choc, résignés, étant donné qu'aucune issue de secours n'est prévue pour nous soulager.
Arrive alors le délicieux moment de la réunion de synthèse, permettant à chacun de s'exprimer à propos de cette réforme, dans l'idée de dresser "un bilan".
Ca faisait longtemps que je n'avais pas mis les pieds à une réunion syndicale; le retour vers celle là a eu tôt fait de me rappeler pourquoi : Alors que nous venions expliquer posément quelles étaient les difficultés rencontrées depuis la rentrée, voilà qu'une harpie annonce tout haut se réjouir de nos malheurs, arguant que jusque là nous n'en avions pas, précisant au passage que ça lui faisait bien plaisir de nous voir nous aussi, commencer à galérer (sic).
Ahahah. Si son attitude confondante de bêtise ne m'avait pas donné autant envie de vomir, j'aurais sans doute pu en rire.
Des ennuis nous en avions aussi avant bien évidemment. Sauf que maintenant, c'est pire et cette petite grue qui a bénéficié de conditions de travail améliorées grâce à notre sacrifice (non consenti) et devrait à ce titre, je crois, plutôt faire profil bas, se permet de tenir ce genre de discours devant une assemblée où personne ne semble révolté par ses propos. Pour un peu j'en perdrais foi en l'humanité.
Je n'ai finalement ni ri, ni pleuré.
Mais j'ai commencé à vraiment trembler.
J'avais oublié que dans ce genre de réunion, la bienveillance et l'écoute n'ont pas leur place : C'est un simulacre de consultation. Avant d'avoir commencé, on sait déjà ce qui en sortira.
Quelques-uns ont bien tenté d'apaiser le débat mais finalement on a retenu de tout ça que le bilan était positif "d'une manière générale" (NDR : j'ai bien fait de me déplacer, donc).
A quoi bon s'époumonner lorsque ceux qui sont assis en face n'ont pas envie d'entendre? On a bien tenté d'expliquer que chez nous, c'était devenu compliqué mais que faire lorsqu'on est une vingtaine de profs dérangés par une réforme interne qui augmente le confort de 200 autres? La loi du nombre l'emporte. Et nous écrase au passage. RIP.
L'épisode digéré (plus ou moins, l'ulcère n'est pas loin), ça rumine sévère, dans les labos.
Alors qu'on nous transmet chaque année des mails du ministère nous enjoignant à promouvoir l'enseignement des sciences -notamment auprès des filles- au lycée, voilà qu'on met à mal les TP en seconde.
Alors qu'on nous demande des efforts conséquents depuis la rentrée, personne du côté de l'administration n'a pris la peine de se déplacer. Tu le crois ça?
Promis, juré : depuis la rentrée, ni le proviseur ni même un de ses deux adjoints n'a pris cinq minutes pour s'enquérir de la situation et constater dans quelles conditions cette maudite réforme nous oblige à travailler.
Aussi, lorsque la traditionnelle saison des réunions parents-professeurs est venue, nous nous sommes permis d'en toucher quelques mots aux parents présents. Grand bien nous en a pris : l'administration (qui dément fermement) se serait plainte de ce que nous ayons le toupet d'évoquer les difficultés rencontrées aux parents qui sont pourtant directement concernés (="si vous pouviez souffrir en silence... Merci d'avance").
Attention : Elle dément, l'administration, mais ne prend pas position pour autant, note bien.
Forcément, je me suis fendu d'un mail, donnant moults détails concernant nos conditions d'enseignement (histoire d'en informer ceux qui n'en ont cure -vraisemblablement- puisqu'ils nous demandent de nous taire sans pour autant venir constater par eux-mêmes ce qu'il en est). Quelle n'a pas été ma surprise de recevoir en guise de réponse, un camouflet de la plus belle facture. Signé du chef himself. RESPECT.
Alors récapitulons : on nous demande de sacrifier notre enseignement pour le bien être du reste de la communauté, c'est déjà un peu fort en soi, crois-moi.
De plus, on nous demande de ne pas nous plaindre, ni auprès des collègues ni auprès des parents pour "ne pas faire d'histoire" (NDR : désolés de déranger, c'est juste qu'on aimerait pouvoir faire travailler nos élèves dans des conditions décentes, n'y voyez aucune forme d'extravagance).
Et, cerise sur le gâteau, alors que - avec le même programme- nous avons plus d'élèves à gérer et que notre enseignement a déjà été amputé il y a quelques années de l'heure de cours qui était associée aux TP (sans réduction de programme, bien entendu)(comprends que nous courons après les heures pour venir à bout de ce programme ambitieux), on a constaté, médusés, que des profs d'autres matières étaient carrément autorisés à nous voler des heures (on nous impose de réaliser des épreuves de français (sous notre surveillance, sur nos horaires de TP, déjà sérieusement mis à mal) en nous refusant le droit -légitime- au rattrapage du temps perdu.
Tu les entends aussi, toi, les petites voix perfides : "Allez, c'est la fête, allez-y gaiement, les SVT on s'en fout, servez-vous de toute façon on liquide. Il ne leur reste déjà pas grand chose, ça ou rien c'est pareil, allez allez!"
Mais le pire dans tout ça, tu sais ce que c'est?
On aurait aimé, je crois, quitte à être sacrifiés pour permettre aux autres de se sentir mieux au quotidien, bénéficier d'un peu de compassion. N'allons pas jusqu'au merci mais un minimum de respect, je me dis que ç'aurait été bien. Une simple réponse manifestant de l'empathie, aux mails que tu envoies pour faire part de tes difficultés. Des collègues qui t'écoutent quand tu fais la liste des dysfonctionnements lors de la réunion consacrée sans t'agresser.
Mais non.
Rien.
Attention, hein, j'ai d'autres collègues formidables mais il faut savoir que depuis que le passage aux secondes à 24 les a mis dans une position de bourreau qui les fait se sentir un peu mal, certains semblent avoir décidé qu'on était vraiment à blâmer.
Méthode Coué : Si je me persuade que tu es en tort, je m'accommoderai de l'idée de t'avoir imposé une pénalité. Bah ouais. Simple mais efficace. Faisons leur procès après coup, ça nous permettra de nous laver de notre culpabilité. Tranquillou.
Oui parce qu'aujourd'hui j'en ai appris une bien bonne : Alors que nous organisions bénévolement (sans rémunération aucune) de nombreux bacs blancs de 3h30 (durée de l'épreuve de bac) en SVT pour nos élèves de terminale S, épreuves qu'il fallait préparer et corriger (gratuitement, en plus de nos heures de cours, sans aucun dédommagement en échange), avec le passage des secondes à 24 on s'est dit que peut-être, il fallait que ça change.
Ecrasés par le boulot que nous demande ce changement (oui, parce que l'inspection nous a demandé de nous "réinventer" pour s'adapter donc on teste de nouveaux TP, on refait tout, pour tenter de réussir à se sentir bien dans ces nouvelles conditions) cette année, on a dit STOP au travail supplémentaire gratuit. (C'est bon, y'a pas écrit "pigeon" non plus)
Et bien il se trouve des collègues pour nous juger, et trouver ça "vraiment scandaleux" de ne plus offrir aux élèves les mêmes prestations.
Allez-y c'est cadeau, c'est gratuit, aujourd'hui ce sont les sciences expérimentales qui régalent! Tapez, tapez bien fort, allez. Ils sont dociles et courbent l'échine sous les coups, c'est bon, on les connait! Défoulez vous ils sont là pour ça.Oui-oui, les gars, bien sûr : on va continuer à bosser gratuitement vu que la récompense derrière, c'est de se faire enfler en se faisant imposer du travail en plus qu'on doit assurer sans broncher. Mais OUI. VOUS AVEZ RAISON. Condamnez le pauvre sursaut qui nous permet de vivre l'épreuve dans la dignité en ayant le sentiment, au moins de cette façon là, d'exprimer notre mécontentement. Merci, c'est beau et surtout, on avait bien besoin de ça.
Pour résumer, cette petite réforme interne qui n'avait l'air de rien est beaucoup plus vicieuse qu'elle n'en a l'air. Sous couvert de pénaliser deux matières pour que les autres gagnent en confort, elle a réussi à instaurer au lycée un climat délétère.
Il se murmure déjà, que pour faire des économies au lycée, les prochains à y passer, ce seront les enseignements facultatifs.
Ca devrait me réjouir, cette idée que le vent va tourner.
Que ce que je vis là va leur tomber dessus aussi, aux profs qui pour l'instant paradent et se croient autorisés à adopter un comportement grossier.
Mais tu vois, même pas.
Je suis triste.
Triste que dans les lycées, ce genre de projet voie le jour.
Et se propage.
Oui parce que je me suis renseignée, ça gangrène.
Dans d'autres académies, déjà, ça a commencé à se propager. Voilà, c'est ça qui nous attend.
Dans mon lycée, c'est dur à avaler car nous sommes le premier établissement de l'académie à y passer mais bientôt les autres suivront.
Et qui en pâtira?
Ce sont les élèves à qui nous ne pourrons plus offrir les mêmes conditions d'enseignement qu'avant.
Des groupes plus chargés avec des élèves de plus en plus difficiles, j'avoue, c'est une riche idée. Certains semblent en être convaincus et je t'avoue que les mots me manquent pour te dire toute l'aigreur qui me gagne...
Et qui se frotte les mains devant ce lamentable spectacle?
L'enseignement privé qui lui, sans faire aucun effort, en se contentant de continuer à proposer ce qu'il propose déjà actuellement (et qui correspond à ce que proposait partout l'enseignement public "avant"), passera pour une "meilleure option".
Tu le sens venir le lent glissement vers un enseignement à deux vitesses?
Jusque là, faire le choix du privé c'était un snobisme comme un autre.
Ca m'a toujours révulsé mais si certains préfèrent payer pour un service identique à l'offre publique, pourquoi les en empêcher?
Sauf que si ce genre de réforme interne se propage, le privé fournira VRAIMENT de meilleures prestations que le public. Ceux qui pourront se payer des études auront droit à un enseignement complet, les autres auront droit à ce que le public voudra bien leur offrir (et la direction qu'il prend n'annonce rien de bon).
On voudrait saborder l'Education Nationale, on ne s'y prendrait pas autrement.
Du côté des collègues, je crois qu'il faut se faire à l'idée qu'il n'y a plus grand chose à espérer...
Que ceux qui pour l'instant ne sont pas concernés fassent l'autruche, je peux presque l'excuser. Chacun pour soi, c'est ainsi désormais.
Qu'ils se permettent de nous mépriser, je ne le comprendrai jamais.
Le passage de la réforme (votée par nos collègues) signifiait déjà un manque de considération de notre enseignement et de ses particularités. Ca a été compliqué mais on a fini par "se faire à l'idée" (toute cette amertume qui monte...). L'absence de réponse de plus en plus fréquente, les remarques désobligeantes récurrentes, l'isolement progressif que l'on ressent, commencent à faire bien mal.
Et donnent vraiment envie de quitter le navire tant qu'il est encore temps.
Je t'ai parlé de mon cas mais il n'est pas isolé : j'entends partout autour de moi le tonnerre gronder.
Je me réjouis de ce que les collègues des autres matières, avec cette réforme interne, puissent travailler dans de meilleures conditions, sincèrement. Mais je ne vois pas pourquoi, alors que pour la plupart des enseignements les conditions de travail s'améliorent, les sciences expérimentales doivent, elles, payer le prix fort. Quant à la réaction des collègues, j'en reste coi.
Bon sang, mais comment a-t'on pu déraper autant pour en arriver là?
Et qu'est ce qui attend nos enfants demain, si on ne fait rien?
Si on accepte un petit "oh, ça va, hein, c'est JUSTE les sciences...", j'ai dans l'idée qu'on ne tardera pas à voir se dégrader les conditions de travail de tout un tas d'autres matières.
Que sera.