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d'après Maupassant (N°11)

Publié le 03 novembre 2015 par Dubruel

~~ Etreinte amoureuse interrompue

D'après AU BOIS (22 juin 1882)

On venait de prévenir le maire que le garde-champêtre Mazure l'attendait au rez-de-chaussée avec deux prisonniers. L'édile descendit de son bureau et dans le vestibule découvrit un couple de bourgeois d'âge mûr : lui, un gros à cheveux blancs, semblait accablé. Elle, endimanchée, très ronde, frisée, regardait d'un œil de défi l'agent de l'autorité qui venait de les arrêter.

Le maire lui demanda:

-" Qu'est-ce que c'est ? "

-" J'accomplissais ma tournée quand j'ai constaté vers les dix heures et demi, tapi dans un fourré, ce couple en flagrant délit de mauvaises mœurs. "

Le maire, surpris, considéra les prisonniers. L'homme comptait bien cinquante ans et la femme au moins quarante-cinq. Il les interrogea :

-" Votre nom ? "

-" Nicolas Balan. "

-" Votre profession ? "

-" Mercier. "

-" Niez-vous ce que le garde vient de constater ? "

-" Non, monsieur. "

-" Où avez-vous rencontré cette femme ? "

-" C'est ma femme, monsieur. "

-" Vous ne vivez donc pas ensemble ?..."

-" Pardonnez-moi, mais je vous assure que nous vivons bien ensemble et depuis plus de vingt-cinq ans ! "

-" Mais...alors...vous êtes fou de venir vous faire pincer ici. "

-" C'est Marie qui a voulu... ! Quand une femme a quelque chose dans la tête...Vous savez,...elle ne l'a pas ailleurs. "

-" Vous ne seriez pas ici, monsieur, si elle ne l'avait eu que dans la tête. "

Alors, sans embarras, Marie Balan expliqua :

-" C'est ici que j'ai connu Nicolas. Les dimanches, ma cousine, son fiancé et moi, on venait pique-niquer dans ce petit bois. Un jour, ils amenèrent un ami qui tenait une boutique de mercerie à Montrouge. Cet ami, c'était M. Balan ici présent. Il avait l'air timide et ça me plaisait. Les autres s'embrassaient sans arrêt et puis, ils se sont parlés tout bas et sont allés se cacher derrière un taillis. Balan et moi, en les attendant, on a causé. Puis il s'est enhardi. Il a voulu prendre des privautés. Nicolas, n'est-ce pas vrai ? Bref, un mois après, il m'épousait. La mercerie, vous savez, c'est un commerce qui ne rapporte pas beaucoup. Songez que c'est hier seulement qu'on a atteint nos premiers cent mille francs. Pendant toutes ces nombreuses années, je n'avais jamais pu aller dans les bois y cueillir des baisers et m'y faire aimer ! Alors, pour fêter ça, j'ai proposé à mon mari de revenir ici. À notre arrivée, je me sentais toute retournée. Je me suis mise à l'embrasser. Et lui me répétait : ''Mais tu es folle...Mais tu es folle ! '' Je l'ai poussé dans un fourré...Et voilà !...J'ai dit toute la vérité. "

Le maire était un homme d'esprit. Il se leva, sourit, et dit :

-" Allez en paix, et ne péchez plus dans les fourrés ! "


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