Au départ ce sont 4 des 5 caisses de sons qui se sont tus et seul un département, assez central tout de même, a continué de diffuser du son pendant que nous traînions nos boulets dans l'entrepôt, à charger/décharger. Puis, silence total. On a tout perdu. Un biduleur avait patenté un crochet d'acier en guise d'antenne et quelques fois, on entendait quelque chose mais très rarement. Et pas longtemps.
Depuis trop longtemps donc, on travaillait la nuit dans le silence. Et c'était pénible. Certains se sentaient le besoin de pousser la note en chantant des chansons qui traînaient dans leurs têtes de gars/fille de nuit. Et il y en a des bibittes dans ces têtes là! Ce n'était jamais beau. Toujours douloureux. Ça nous faisait manquer la radio encore plus.
Puis, un matin pas trop lointain, une tête grise juchée dans un escabeau. À hauteur de caisse de son. On a pas trop compris tout de suite ce que cet homme dans la soixantaine, qui avait autant la tête d'un clochard que celle d'un vieux sage, faisait parmi nous.
Puis...le son fût...
Quelques cris ont surgît. De joie et de surprise. Les sourires ont commencé à naître sur les visages. on travaillait avec un certain plaisir, voir un amusement. On venait de comprendre. Cet homme était sur place pour fixer le problème de radio que nous avions depuis quelques temps. Il était la stripteaseuse dans la prison. Bientôt des cris digne de spectacles des Stones allaient sortir ici et là. Le technicien avait de toute évidence placé un cd de compilation de musique soul et on se serait cru au coeur d'un épisode d'Ally McBeal. Il avait complètement l'effet de la stripteaseuse et rendait tout le monde heureux, même si le soul n'était pas le style de musique préféré de tous. J'aurais pris une intro de Bowie/Townshend, mais bon, ça c'est personnel. Le tout restait quand même un groupe d'employés, maussade de nature car la nuit, les gens normaux dorment, tandis que l'on sue, qui soudainement, retrouvaient une joie de vivre. On avait tous le rire facile et avec tous les alcools autour, un air de 5 à 7 se dessinait.
La vieil homme savait beaucoup trop l'effet qu'il faisait et savourait chaque seconde de sa soudaine popularité. Il se promenait de section en section gratifiant chaque secteur par une chanson ou deux. Il souriait la bouche ouverte, comme si c'était lui qui avait composé chaque chanson et qui se donnait en spectacle. Ses dents semblaient même briller par leur absence, mais il était aussi heureux de nous rendre heureux. Il était le marchand de bonheur et pendant près d'une demie-heure, nous étions les gens les plus heureux sur terre.
La stripteaseuse était rendue à la petite culotte.
Puis, j'ai vu la face d'un de nos gérants qui avait un regard qui questionnait la scène. Je l'ai vu appeler notre responsable de la sécurité.
"Cliff? t'es tu chez vous? t'es supposé être ici, y est 5h00!...."
Notre responsable de la sécurité avait oublié de reculer l'heure dans la nuit. c'était levé une heure trop tôt, s'en était rendu compte tout de suite, puis, avait finalement choisi de se recoucher pour mieux passer tout de droit au bout du compte.
Quand notre spécialiste de la sécurité est arrivé, il l'a pris par les aisselles et lui a dit:
"Ç'est fini les conneries!" et il a expulsé l'olibrius.
Semblerait que c'était bel et bien un clochard, qu'un des employés, Dubreuil pour ne pas le nommer. avait payé pour qu'il vienne jouer au DJ d'un ghetto blaster dans nos sections dans la nuit. Les sans abris sont souvent attirés par notre entrepôt, d'abord parce qu'il garantit un peu de chaleur pour une partie de la nuit, mais il se trouve aussi assez près de l'accueil Bonneau et de la Old Brewery Mission. De plus, notre entrepôt contient tous les types d'alcools de la planète. Très attirant pour celui qui a soif. Et le clochard a toujours soif.
L'homme a été expulsé, on dit que Dubreuil l'a payé d'une bouteille "achetée" dans notre entrepôt.
Reste que le silence s'est réinstallé de ses gros sabots pesants. Nos boulets sont lourds. Il m'a cru entendre sourdement le chant
La stripteaseuse a remballé ses sous vêtements et est repartie avec sa valise.
Dans nos yeux parfois, danse encore le rythme d'un soul heureux. comme les patients du film Awakenings, qui avaient retrouvés un certain sens de l'animation, l'espace d'un été.
Certains croient au mirage.
Mais moi j'ai vu la petite culotte.
Je sais que j'ai vu la petite culotte, docteur.