Par arrêt n° 385114 du 16 octobre 2015, le Conseil d'Etat a jugé qu'un permis de construire peut être assorti d'une prescription qui n'est pas nécessairement illégale du seul fait qu'elle sera difficile ou impossible à mettre en œuvre. Toutefois, si une prescription ne peut être réalisée alors qu'elle est indivisible du reste du permis, c'est toute la construction qui ne peut être légalement réalisée.
Au cas présent, les requérants avaient demandé l'annulation d'arrêtés de permis de construire des éoliennes. Par un jugement du 4 avril 2013, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande. Toutefois, la Cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement, par arrêt du 19 août 2014. La Cour a jugé que ces arrêtés prescrivaient illégalement la plantation de haies chez des tiers mais sans l'accord des propriétaires concernés.
L'arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon précise en effet :
"13. Considérant que l'article A. 424-3 du code de l'urbanisme énonce que : " L'arrêté indique, selon les cas ; (...) d) Si la décision est assortie de prescriptions (...). " ; que par cinq des arrêtés contestés le préfet de la Z a autorisé la construction d'éoliennes sous réserve, pour la société X, de respecter les prescriptions d'ordre technique, indivisibles du reste des permis, figurant à l'article 2 de ces arrêtés qui imposent, au titre de l'environnement, la plantation de haies d'essences locales à la sortie du hameau de La V., entre la dernière habitation du village de B. et le parc éolien et le long de la route départementale 957 ; que même si l'étude d'impact fait état du projet de reconstitution d'une continuité, sous la forme de haies vives le long du chemin menant à D., avec l'autorisation des propriétaires intéressés, ainsi que d'une initiative privée de replantation initiée par le propriétaire d'une habitation située en partie nord du hameau de La V., il ne ressort pas des pièces produites au cours de l'instruction contradictoire écrite que, à la date à laquelle les permis litigieux ont été délivrés, la société X avait acquis la maîtrise foncière des terrains sur lesquels portent ces prescriptions ; que, comme le soutiennent Mme F...et autres, ces prescriptions, dont la mise en oeuvre est ainsi soumise à l'accord des propriétaires des terrains concernés, qui sont des tiers par rapport au projet lui-même, sont donc illégales"
Ainsi, aux termes de cet arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon, les prescriptions d'un permis de construire qui prévoient la réalisation de travaux sur les parcelles de tiers sans leur accord, sont illégales.
Saisi d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat annule cet arrêt :
"4. Considérant que, par cinq des six arrêtés contestés, le préfet de la Z. a autorisé la construction d'éoliennes sous réserve, pour la société X, de respecter les prescriptions d'ordre technique, indivisibles du reste des permis, figurant à l'article 2 de ces arrêtés qui imposent, au titre de l'environnement, sur des parcelles appartenant à des propriétaires privés, la plantation de haies à la sortie du hameau de La V. et le long de la route départementale 957 ;
15. Considérant que si les requérants soutiennent que le préfet de la Z. a commis une erreur de droit en prescrivant la plantation de haies sur des parcelles privées, sans s'assurer de l'accord de leurs propriétaires, cette circonstance, à supposer que les propriétaires concernés n'aient pas donné leur accord à la date de délivrance des permis attaqués, n'est pas de nature à entacher d'illégalité ces derniers, qui ont été délivrés sous réserve des droits des tiers ; que la construction du parc d'éoliennes ne pourra, au demeurant, être légalement réalisée conformément aux permis délivrés qu'à la condition que les haies aient pu être plantées ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ces prescriptions seraient entachées d'illégalité sur ce point doit être écarté ;"
Prescription impossible mais légale. Ainsi, après avoir rappelé que le permis de construire est délivré sous réserve des droits des tiers, la Haute juridiction souligne dans son arrêt que le seul fait qu'une prescription ne puisse pas être réalisée ne signifie pas qu'elle soit illégale.
Ladite prescription ne peut donc être annulée pour ce seul motif.
Toutefois, l'arrêt rendu ce 16 octobre 2015 précise "que la construction du parc d'éoliennes ne pourra, au demeurant, être légalement réalisée conformément aux permis délivrés qu'à la condition que les haies aient pu être plantées"
Le bénéficiaire d'un permis de construire dont l'une des prescriptions ne peut être réalisée faute de l'accord d'un tiers, ne peut donc construire légalement. Le permis de construire dans son ensemble devient privé d'effet.
En résumé, le permis est légal mais pas exécutable.
Prescription indivisible. Au cas présent, l'arrêt ici commenté précise que "les prescriptions d'ordre technique" sont "indivisibles du reste des permis".
Il convient donc d'envisager deux hypothèses.
- Soit la prescription est divisible du reste du permis : le permis peut être exécuté sans celle-ci;
- Soit la prescription est indivisible du reste du permis : le permis, même légal, ne peut être exécuté.
Il convient de rappeler que par un important arrêt de section du 13 mars 2015, le Conseil d'Etat a récemment précisé qu'une prescription de permis de construire ne peut être annulée seule que lorsqu'elle est indivisible du reste du permis de construire. Il a ainsi admis définitivement qu'une prescription peut, dans certains cas, être divisible du reste du permis de construire :
"2. Considérant, en premier lieu, que l'administration ne peut assortir une autorisation d'urbanisme de s qu'à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d'un nouveau projet, aient pour effet d'assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect ; que le titulaire d'une autorisation d'urbanisme est recevable à demander l'annulation d'une ou de plusieurs s dont celle-ci est assortie ; qu'il peut utilement soulever à l'appui de telles conclusions tout moyen relatif au bien-fondé des s qu'il critique ou au respect des exigences procédurales propres à leur édiction ; que, toutefois, le juge ne peut annuler ces s, lorsqu'elles sont illégales, que s'il résulte de l'instruction qu'une telle annulation n'est pas susceptible de remettre en cause la légalité de l'autorisation d'urbanisme et qu'ainsi ces s ne forment pas avec elle un ensemble indivisible ;"
A noter : la jurisprudence offre déjà plusieurs exemples de prescriptions divisibles du reste du permis de construire délivré (cf. par ex. CAA Nancy, 26 juin 2012, n°11NC01209).
La portée de l'arrêt. La solution retenue par le Conseil d'Etat est, du strict point de vue juridique, cohérente, notamment avec la jurisprudence passée. Si la prescription en cause conditionnait l'octroi du permis, il est sans doute "logique" que le permis, faute de pouvoir réaliser cette prescription, ne puisse être exécuté. Par ailleurs, cette solution est respectueuse des droits des tiers.
Il convient cependant de s'interroger sur les conséquences pratiques de cette solution. Priver le bénéficiaire de son permis au motif que l'administration a fixé une prescription impossible et indivisible peut s'avérer particulièrement rigoureux. Il est permis de s'interroger sur le point de savoir si un permis ainsi pourvu par l'administration d'une prescription impossible n'équivaut pas à un refus de permis.
A la suite de cette "clarification" apportée par le Conseil d'Etat par ces arrêts du 13 mars et du 16 octobre 2015, il appartient aux bénéficiaires d'un permis de construire qui souhaitent s'assurer de la sécurité juridique de leur projet, d'analyser : la légalité du permis de construire, son risque d'annulation, sa caducité ou sa péremption mais aussi son caractère "exécutable" au regard de ses prescriptions, selon qu'elles sont ou non divisibles.
Cabinet Gossement Avocats