Note : 4/5
On ressort toujours d’un film de Kore-eda transporté, comme si l’on venait de vivre une parenthèse enchantée. Ce qui est d’autant plus surprenant, c’est que le cinéaste s’emploie à nous montrer des situations on ne peut plus banales du quotidien de ses personnages. C’est là toute la force du réalisateur japonais : toucher du doigt la grâce à chaque instant de ses films en entrant dans l’intimité d’une famille en crise. Car Notre petite sœur n’échappe pas à la règle, il s’agit de rentrer au sein d’une famille et de voir comment celle-ci gère un événement qui va la bouleverser.
© Le Pacte
Le film nous plonge dans le quotidien de trois sœurs, Sachi, Yoshino et Chika qui apprennent la mort de leur père qui les avaient abandonnées quinze ans auparavant. Elles se rendent alors aux funérailles où elles font la connaissance de Suzu, leur demi-soeur orpheline âgée de tout juste 14 ans. Les trois grandes sœurs décident alors de l’inviter à venir habiter avec elles dans leur maison de famille. Le film est donc une chronique familiale sur la découverte de l’autre et l’amour sororal. Suzu est accueillie comme un membre de la famille alors qu’elle est une inconnue, et la fille de celle qui a fait partir leur père. Comment peut-on réussir à s’intégrer dans une famille, alors qu’on est la cause de la dissolution de celle-ci ? Le film s’attache à montrer des situations parfois gênantes, parfois touchantes, sur la façon dont ces sœurs vont réussir à s’apprivoiser pour pouvoir vivre en harmonie.
Le film est principalement articulé autour de Sachi, sœur ainée, la chef de famille, sorte de mère de substitution qui a pris le rôle de celle qui a préféré fuir ses responsabilités ; et de Suzu la petite dernière, fille pétillante mais totalement perdue suite à la mort de son père, qui ne se sent à sa place nulle part. Sur leurs parcours respectifs, ces deux sœurs vont croiser des personnages divers qui vont les aider dans leur cheminement. Le réalisateur développe des sous intrigues autour des quatre sœurs qui viendront chacune entrer en résonance avec la situation qu’elles vivent. Par petites touches, Kore-eda vient montrer l’influence des petits gestes et du quotidien sur la construction d’une personne. Sachi, qui accueillera tout d’abord Suzu dans un geste de politesse, va peu à peu s’ouvrir à cette nouvelle sœur. La relation que l’ainée entretient avec la benjamine évolue au cours du récit et le père, sujet tabou au début, va peu à peu prendre place dans la discution jusqu’à finalement devenir ce lien qui les unit.
C’est la première fois que Kore-Eda fait un film totalement féminin. Ici les hommes ne sont plus que des spectres qui gravitent autour d’une famille de filles. A commencer par ce père qui vient de mourir et qui a été absent quinze ans pour les trois grandes sœurs. Ensuite nos héroïnes ne semblent pas s’épanouir dans leurs relations amoureuses, à l’image de leur père qui aura connu trois femmes. Suchi l’ainée entretient une relation avec un homme marié ce qui la place dans une situation similaire à celle de la mère de Suzu. Yoshino, de son côté, semble pourtant considérer la relation amoureuse comme la donnée majeure du bonheur dans la vie alors même que toutes ses relations ont été désastreuses.
Il ne semble graviter que des femmes autour de cette famille, de la tante qui joue le rôle de conseillère à cette mère absente qui viendra leur rendre visite. Même l’intrigue secondaire met en son centre la gérante d’un restaurant, laissant son mari qui travaille avec elle en retrait. Dans ce film les femmes ne sont pas évaluées en comparaison à des hommes. Qu’est-ce qu’il est beau et bon de voir un film centré sur des personnages féminins aussi justes ! Car la prouesse du film de Kore-eda est bien là : on savait le réalisateur doué pour étudier les comportements humains et plonger dans l’intimité d’une famille, mais après des films centrés sur des personnages masculins, il réussit à merveille à nous dépeindre ce groupe de filles.
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Notre petite sœur est peut-être bien le film le plus drôle de son réalisateur. Le fait de nous montrer le quotidien de quatre sœurs vivant ensemble nous laisse assister à des scènes de vie extrêmement amusantes. La personnalité de ces quatre sœurs fait des étincelles, grâce à un casting savoureux extrêmement réussi. La pépite du film étant bien évidemment la petite Suzu interprétée par la jeune Suzu Hirose qui offre une composition solaire. L’alchimie qui se dégage entre ces quatre filles crève l’écran. On n’a qu’une envie, c’est de s’attabler avec ces personnages, d’aller à leur rencontre. D’ailleurs tout donne envie dans ce film, de la liqueur de prune que les sœurs préparent chez elles, au hareng frit qu’elles vont manger au restaurant. Ce film fait de plaisirs épicuriens vous fait apprécier l’instant et vous donne envie d’y gouter.
Le film est d’une beauté enchantée, et la musique vient accompagner l’image à merveille. Mais elle ne se réduit pas à ce seul rôle. La partition que nous livre Yoko Kanno est à l’image du film, tendre, aérienne et sublime. Loin de la plupart des musiques de film actuelles qui tiennent plus du sound design que de la véritable composition, le thème de Notre petite sœur est d’une sensibilité mesurée et accompagne de manière remarquable cette chronique familiale.
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Kore-eda revient donc avec un film qui ose la légèreté tout en abordant des thème graves et confirme, si besoin, qu’il est un grand maître. Certains trouveront le film « niais », ceux-là n’ont peut-être pas la sensibilité nécessaire pour apprécié un cinéma qui vous laisse, à la fin de la séance, avec un sourire jusqu’aux oreilles, et une envie de croquer la vie comme un fruit bien mûr et pourquoi pas de se servir un petit verre de liqueur de prune.
Anatole Vigliano
Film en salles depuis le 28 octobre 2015