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Ouvrons les yeux sur la génération FN

Publié le 02 novembre 2015 par Délis

Cet article a été publié sur le Figaro.fr . 

A grand renfort médiatique, le Front National a ouvert, en cette rentrée 2015, une antenne à Sciences Po. Un coup de communication ? Oui, bien-sûr, qui témoigne de l’imprégnation des idées frontistes au sein d’une population jusqu’à présent   totalement hermétique aux théories d’un parti d’extrême-droite qui lui rendait bien.

Mais en réalité, cette annonce ne résume que très partiellement la lame de fond politique en passe de remodeler profondément le paysage politique des prochaines décennies : celle d’une jeunesse sur le point de basculer dans les bras du FN.

Le tournant remonte à 2014 : aux élections européennes, le FN devient officiellement le premier parti des moins de 35 ans, auprès de qui il réalise 30% selon les données d’ IPSOS. La tendance va probablement s’amplifier aux prochaines élections régionales où des scores entre 30% à 35% sont attendus. Plus impressionnant encore, dans certaines régions, le FN tutoie les 50% auprès des moins de 35 ans. C’est le cas dans le Nord Pas de Calais Picardie et dans une moindre mesure en Languedoc Roussillon[1].

Il est loin le printemps 2002, quand la jeunesse de France battait le pavé pour s’opposer au Front National. Des cortèges au diapason avec la faible pénétration du FN dans ces catégories : au premier tour de la présidentielle de 2002, le FN réalisait 13% auprès des 18-24 ans.

Face à cette réalité, les âmes les plus optimistes – où les plus aveugles – préfèrent minimiser.

Oui, l’abstention plus élevée parmi cette tranche d’âge permet de nuancer certains chiffres. Ainsi, les 30% de jeunes qui ont voté pour le FN aux européennes de 2014 ne représentent qu’une minorité, face au 74% qui ne se sont pas déplacés.

Mais parmi ces abstentionnistes, combien auraient pu également glisser un bulletin de vote FN, quand des enquêtes font état d’un jeune sur deux déclarant potentiellement prêt à voter pour ce parti ? Par ailleurs, l’abstention différenciée signe en creux l’échec patent des partis traditionnels, incapables de motiver leur cœur de cible  face à des jeunes électeurs FN toujours plus mobilisés. Aujourd’hui indiscutablement, le FN est devenu un catalyseur de vote, notamment lors des élections intermédiaires[2].

Chez ces jeunes frontistes, la mobilisation est mue par la conviction que le FN peut changer les choses. Ainsi, 43% jugent que le programme FN peut améliorer la situation de la France contre 26% des électeurs FN[3] toutes tranches d’âges confondues. Chez ces jeunes, le vote sanction n’est plus qu’un levier mineur. Leur vote est à la fois adhésion et transgression.

Ce pouvoir d’attraction du FN n’est bien-sûr pas le même selon les catégories professionnelles : au sein de  milieux populaires, il frôle ainsi les deux tiers. Ces électeurs jeunes et peu favorisés font partie de cette France des perdants, finement analysée  par deux sociologues de la jeunesse Cécile Van de Velde et Camille Peugny, qui ont conduit une consultation extrêmement ambitieuse auprès des 18-30 ans en 2014. Biberonnés à la rhétorique de la crise, ils sont convaincus que leur vie sera pire que celle de leur ainés. Une analyse, qui n’est pas le simple fruit du pessimisme : avec un chômage proche de 50% parmi les non-diplômés, le syndrome de génération sacrifiée est palpable au quotidien.

Face à cet avenir muré, les jeunes CSP- sont aujourd’hui habités par une colère sourde, combinaison de frustration et de défaitisme. Un terreau idéal pour Marine Le Pen qui fait le plein, débarrassée des outrances de son père, tout en revendiquant une pensée antisystème qui peut séduire cette jeune tranche d’âge. En effet, auprès des moins de 35 ans, l’épouvantail Jean-Marie Le Pen ne fonctionne plus. Les polémiques sur la Seconde Guerre Mondiale – et on peut le regretter – sont reléguées au rang préhistorique. Libéré facialement de son discours antisémite, le Front National continue dans le même temps de jouer sur la transgression. Entonnant le refrain habituel d’une collusion des médias à son détriment, le parti conserve une dimension sulfureuse, à même de catalyser le désir de rébellion des ces nouveaux adultes. Une rébellion contre le système, qui permet enfin de se doter d’une identité : voter FN c’est tout à coup appartenir à cette catégorie composite que les médias auscultent, que les politiques rejettent ou draguent, mais en tout cas considèrent à nouveau.

***

Vote transitoire ou générationnel ? Au final, la question décisive est de savoir si le comportement électoral de ces jeunes électeurs va s’ancrer dans le temps.

S’il n’existe malheureusement pas d’étude analysant dans la durée une génération de citoyens, le CREDOC[4] souligne que les comportements électoraux sont le plus souvent affaire de génération. A titre d’exemple, les seniors de la génération comprise entre 1914 et 1937 qui ont voté en 2007 à plus de 66% pour Nicolas Sarkozy, votaient 50 ans plus tôt dans les mêmes proportions pour la droite.

Certains soutiennent cependant que le FN disparaitra avec la crise, associant l’expansion du Front National à la seule problématique économique. Exigeant d’abord des politiques une vraie action efficace sur l’emploi, les moins de 35 ans se détourneraient du FN sitôt la situation économique redevenue favorable.

Ce scénario optimise se heurte néanmoins à plusieurs bémols : d’abord, l’hypothèse d’un retour au plein emploi demeure hautement hypothétique. Ensuite, il semble bien que le chômage de longue durée affectant aujourd’hui les moins de 35 ans ne soit en passe de créer une véritable génération sacrifiée. Faute d’investissement dans le capital humain et la formation, ces jeunes chômeurs de longue durée auront les plus grandes peines à se réinsérer dans le marché du travail, si ce dernier venait à redémarrer… décuplant le sentiment d’abandon si favorable au vote FN.

Enfin, le vote FN peut se nourrir d’un terreau de crise économique, mais ne s’y résume plus. La force d’attraction de ce parti réside dans la grille de lecture binaire et holistique du monde qu’il propose. Faisant des « autres » – étrangers, Europe, Mondialisation…- la raison centrale du chômage, du déclassement français et de l’insécurité culturelle, le Front National construit méthodiquement une vision du monde qui va imprégner durablement les esprits.

Pour contrer cette lame de fond idéologique, les partis traditionnels devront éviter deux écueils : la vision moralisatrice d’une part l’approche gestionnaire d’autre part. Car ni l’une ni l’autre ne seront en capacité de concurrencer la « FNisation » des jeunes esprits, qui constitue probablement la plus grande bombe à retardement des prochaines décennies.

[1] IFOP, septembre 2015

[2] Etude Taddeo, municipales 2014

[3] Harris Interactive pour Balises, 2014

[4] Les électorats sociologiques, 2012, CREDOC


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