Un film de Ken Loach (2002 - UK, Espagne, Allemagne) avec Martin Compston, Wiliam Ruane, Annmarie Fulton
Engrenage.
L'histoire : Liam n'a pas encore seize ans. Sa mère est en prison pour trafic et usage de drogue, peine qu'elle a écopée en grande partie à cause de son compagnon, Stan, dealer, qui réussit toujours, lui, à passer entre les mailles. Lorsque Stan demande à Liam de donner à sa mère, lors de sa visite à la prison, de la drogue pour qu'elle la vende à ses consoeurs, le gamin refuse : si elle est prise, sa peine sera alourdie et il n'a qu'une hâte, que sa mère sorte de là et qu'ils reprennent une vie normale. Une vie sans ce beau-père, qu'il déteste, et qui lui flanque une raclée pour lui avoir désobéi... Liam se réfugie chez sa soeur aînée, mère célibataire, qui suit des cours pour trouver, enfin, un vrai travail. Elle voudrait tant que son petit frère, qui déserte l'école, se ressaisisse ! Mais le gamin n'a qu'une obsession : trouver un logement agréable où ils pourront emménager avec leur mère, loin du beau-père, et renouer avec le bonheur. Mais comment acheter ce beau mobile-home qu'il a déniché, avec vue sur la rivière ? En se vengeant de Stan, tiens. Il lui pique sa drogue et se met à la vendre... Après, il se rangera, et ils auront enfin une belle vie.
Mon avis : Dans la série drame social, LE truc de l'ami Ken, que j'adore, étant une bolchévique acharnée, voilà une oeuvre marquante, terriblement cruelle, terriblement juste, avec un gamin bouleversant, un sourire d'ange et une naïveté qui lui fait prendre tous les mauvais chemins et suivre les mauvaises personnes... J'ai adoré la prestation exemplaire du jeune Martin Compston.
La mise en scène est réaliste, sobre, au plus près des acteurs, dans la grisaille d'une ville écossaise, éclairée par moments par un rayon de soleil, la beauté d'un paysage, tout comme la vie de ces gens, les "misérables" de Hugo, dont les visages s'illuminent parfois de grands espoirs.
Il y en a combien des gamins comme ça ? Nés dans des quartiers où règne le chômage, où l'école n'arrive plus à capter l'intérêt des enfants trop pris par les malheurs des parents, où l'attrait de l'argent facile entraîne tout le monde dans des spirales infernales. Un cercle vicieux. La misère produit la misère, le fort accable le faible. On imagine facilement que le petit Callum, malgré la détermination de sa jeune maman, finira comme son oncle...
Ce film flanque le bourdon. Je passe mes journées à défendre l'ouvrier, les quartiers difficiles, les chômeurs... auprès de mon entourage, des nantis qui ne le savent pas, qui jugent, qui condamnent. Les chômeurs ? Tous des bons à rien et des feignants. Quand je travaillais dans la finance, qui n'est pas le meilleur milieu pour la compassion envers son prochain, j'ai notamment bossé au SAV : maladies, chômage, divorce, décès... et des gens qui ne pouvaient plus payer leur crédit. Je les rassurais, je les consolais, je les chouchoutais. Je faisais le tri entre les gros tarés qui se faisaient un malin plaisir de ne pas régler leurs dettes parce que "les banques ? tous des voleurs !", et les gens honnêtes, qui demandaient des arrangements parce qu'ils traversaient une mauvaise passe. J'étais, selon mes chefs, bien trop gentille, bien trop naïve et tout le monde me surnommait "l'assistante sociale"... ce qui n'était pas un compliment, je vous assure.
Bref, je les aime, moi, les défavorisés et je rêve tellement d'un monde où l'on partagerait mieux le gâteau... Quel gâchis.
Ken Loach a vu son film censuré par son pays et interdit au moins de 18 ans, à cause du langage peu châtié (c'est le moins qu'on puisse dire) de ses protagonistes. L'Espagne a suivi. La France et l'Allemagne l'ont interdit aux moins de 12 ans. Le réalisateur était furieux : des jeunes Ecossais des classes défavorisées devraient-ils parler la langue des beaux quartiers ? Et ses petits acteurs n'ont même pas pu voir le film.
350.000 entrées en France. Pas mal. Il faut dire que la critique était très élogieuse. J'ai bien aimé cette phrase de Aden (un site qui a priori n'existe plus aujourd'hui) : "Sweet Sixteen est le portrait d'un enfant déchu que Ken Loach filme en état de résistance" ou cette autre de Objectif Cinéma "sans concession, âpre, dur, un miroir de la société, sans effets, net, tranchant, sans espoir mais essentiel".