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La civilisation mène t-elle à la barbarie ?

Publié le 28 octobre 2015 par Anargala
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Les théories cycliques de l'Histoire sont celles des sociétés traditionnelles : d'abord l'Âge d'or se délite, puis conduit à l'Âge de fer, à la destruction qui prépare l'avènement d'un nouvel Âge d'or, et ainsi de suite, sans fin ultime. A cette vision naturelle de l'Histoire, s'oppose la foi dans le progrès, propre aux Lumières.Situé à la charnière ces mentalités anciennes et modernes, l'italien Vico propose une théorie cyclique originale. Selon lui, il y a d'abord un âge des dieux, où les hommes vivent en harmonie avec la nature, en famille et avec le sens du sacré ; puis un âge des héros, quand une classe guerrière émerge pour dominer les foules : et enfin, un âge des hommes, quand la foule se soulève et réclame l'égalité. Mais cette égalité conduit à l'individualisme et à la désagrégation de la société, à commencer par la famille. Ce qui mène à des guerres, à la quasi disparition de l'humanité. Mais la terre, ainsi purifiée, repart pour un nouveau cycle, débutant par un nouvel âge des dieux.La démocratie mène t-elle à la barbarie ?Vico décrit ainsi le cataclysme :

"Quand les peuples sont devenus esclaves de leurs passions effrénées, du luxe, de la mollesse, de l’envie, de l’orgueil et du faste, quand ils sont restés longtemps livrés à l’anarchie... la Providence applique un remède extrême.

Ces hommes se sont accoutumés à ne penser qu’à l’intérêt privé ; au milieu de la plus grande foule, ils vivent dans une profonde solitude d’âme et de volonté. Semblables aux bêtes sauvages, on peut à peine en trouver deux qui s’accordent, chacun suivant son plaisir ou son caprice. C’est pourquoi les factions les plus obstinées, les guerres civiles les plus acharnées changeront les cités en forêts et les forêts en repaires d’hommes, et les siècles couvriront de la rouille de la barbarie leur ingénieuse malice et leur subtilité perverse. En effet ils sont devenus plus féroces par la barbarie réfléchie, qu’ils ne l’avaient été par celle de la nature. La seconde montrait une férocité généreuse dont on pouvait se défendre ou par la force ou par la fuite ; l’autre barbarie est jointe à une lâche férocité, qui au milieu des caresses et des embrassements en veut aux biens et à la vie de l’ami le plus cher. Guéris par un si terrible remède, les peuples deviennent comme engourdis et stupides, ne connaissent plus les raffinements, les plaisirs ni le faste, mais seulement les choses les plus nécessaires à la vie. Le petit nombre d’hommes qui restent à la fin, se trouvant dans l’abondance des choses nécessaires, redeviennent naturellement sociables ; l’antique simplicité des premiers âges reparaissant parmi eux, ils connaissent de nouveau la religion, la véracité, la bonne foi, qui sont les bases naturelles de la justice, et qui font la beauté, la grâce éternelle de l’ordre établi par la Providence."

La Science nouvelle, 1744
Nombreux sont ceux qui ont pensé que la démocratie menait inéluctablement à une forme de décadence, de barbarie ou de tyrannie. De Platon à Tocqueville, en passant par Vico, ils se sont interrogés sur la liberté : peut-elle durer ? Rousseau a vu une solution dans le Contrat social : chacun renonce librement à faire n'importe quoi, pour obéir à des lois qu'il a choisi. Mais, comme l'admet Rousseau, cela suppose que les hommes soient d'une moralité élevée, capable de désirer le bien commun, et de voir où il se trouve. 
La démocratie n'est-elle pas une utopie réservée à des êtres divins ?
Je note au passage que les trois âges de Vico rappelent les trois âges de la tradition tantrique du Kula : le flot divin, puis le flot des parfaits (siddha, aussi appelés "héros", vîra), puis le flot humain, transmis respectivement par le silence, par des symboles, puis par des mots. Et les mots ramènent au silence...

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