Fin 2013, à l'approche des municipales 2014, on pouvait entendre quelques vagues regrets monter de la part d'un gouvernement qui sentait bien que la populace en avait ras le bonnet rouge des vexations fiscales. Chaque membre du gouvernement avait alors fait assaut d'imagination pour expliquer le besoin, forcément républicain, d'un vrai bon gros consentement à l'impôt. Comme par hasard, à l'approche des régionales 2015, on assiste, pas franchement étonné, au même petit couplet bonimenteur, avec les variations éventuelles du moment.
Et c'est à Valls, le seul Manuel d'un gouvernement d'intellectuels épatants, que revient donc la tâche d'expliquer avec le minimum de componction feinte les conséquences désastreuses des derniers efforts des socialistes pour aspirer l'argent des poches des contribuables. Lors d'un débat organisé par le Club de l'Économie du quotidien Le Monde (ne riez pas - après tout, cette rédaction a bien une page " Idées "), il a clairement convenu que le tabassage sans précédent des contribuables et des entreprises en France a provoqué comme des tensions entre ceux qui donnent, ceux (comme lui) qui distribuent, et ceux (comme lui) qui touchent.
En sabir politicien, cela donne ceci :
" Il y a eu une augmentation de la fiscalité au cours de ces dernières années - je ne parle pas uniquement depuis 2012 - pour les entreprises comme pour les ménages, à peu près équivalents, 20 milliards entre 2010 et 2012, un peu plus de 20 milliards entre 2012 et 2014 qui a, je crois, créé une forme de rupture entre les Français et l'impôt. Je pense que ce choix a pesé lourdement sur l'activité économique [...] et ça a été un choc fiscal pour les gens, ce qui explique beaucoup de la rupture entre cet exécutif et d'une manière générale les responsables politiques et les Français. "
Si les élections régionales n'étaient pas aussi proches, si les performances prévisibles du Parti Officiellement Socialiste n'étaient pas si catastrophiques, il va de soi que ce discours n'aurait jamais été tenu. Cependant, ne boudons pas notre plaisir de noter plusieurs éléments importants : d'une part, le premier ministre admet, même si c'est très implicite, que les impôts ont continuellement augmenté, et plus encore que sous Sarkozy dont la liste des créations fiscales était pourtant déjà fort joufflue. Eh oui, le fameux changement fut en fait le passage par la démultipliée fiscale. Et merci François.
D'autre part, le socialiste actuellement en charge des petits coups de menton admet finalement qu'il y aurait bien un lien entre le fait de cogner comme un sourd sur les contribuables et les entreprises et ne pas avoir, en retour, une activité économique florissante. On pourrait être presqu'ému de voir ainsi les premiers pas tremblotants, mal assurés, et aussi remplis d'espoir que de risque de chute d'un premier ministre dans la découverte de l'économie de base, mais oh là, mollo, ne nous emballons pas ! Tempérons notre émotion en nous rappelant que notre tremblant ami socialiste est encore très loin de la conclusion logique qu'une baisse des impôts pourrait avoir des effets bénéfiques sur l'activité économique. Oui, le signal d'alarme du passage à niveau de la compréhension économique a retenti, la barrière du raisonnement logique s'est lentement abaissée, mais le train de la déduction cartésienne ne passera pas.
Oh, bien sûr, le gouvernement aura beau jeu, à présent qu'il prétend s'être imbibé de réalité économique, de rappeler toutes les belles baisses d'impôts qu'il est en train de négocier aux petits oignons pour certaines catégories de contribuables, pendant qu'en parallèle, les taxations les plus invraisemblables continuent de s'abattre sur le pays, puisqu'après tout, dans le langage de Bercy, une taxe n'est pas un impôt...
Il n'en restera donc pas moins que, oui, enfin, un politicien a avoué avoir commis une petite boulette économique qui est en train de plonger lentement le pays dans le chaos. On pourrait presque se contenter de cet apparent courage si une autre information ne venait pas en collision frontale avec les balbutiements du premier ministre faussement contrit de voir les dégâts que lui et sa clique ont causés.
On apprend en effet que, pendant que Valls tente de calmer les contribuables, les administrations font tout, elles, pour les agacer au plus haut point.
Bon, bien sûr, ce n'est pas exactement dit comme ça, mais c'est cependant exactement comme ça qu'il faut le comprendre : dans une note interne de la direction départementale des finances publiques des Alpes-Maritimes révélée par France Bleu Azur, il est demandé que les agents aux guichets appliquent quelques méthodes simples toutes destinées à repousser les contribuables hors des guichets et vers les intertubes où, entre deux lolcats, devraient se trouver les renseignements qu'ils étaient venus chercher.
Ainsi, il faudra " limiter très fortement le traitement en direct du contentieux ", et renvoyer le contribuable (qui est, pour rappel, le patron, ou, au moins, le client puisque c'est lui qui paye) vers le site officiel. Le but est de bien faire comprendre à ces envahissants mammifères que le traitement de ses ennuyeuses réclamations n'est certainement pas plus rapide lorsqu'il se déplace, au contraire. De la même façon, il faudra " éviter la facilitation de la délivrance des documents papier sans attente ", ce qui risquerait de désengorger bêtement les files d'attentes.
Eh oui : le contribuable est un imbécile qui est venu jusqu'au guichet et s'est tapé une attente pour essayer de comprendre quelque chose aux invraisemblables débilités du formulaire mal écrit, confus et rébarbatif que l'administration lui a torché entre deux gueuletons, et ça, ça nous mobilise de l'agent des impôts inutilement, à ne pas aller recouvrir des taxes, à ne pas contrôler ci ou ça. Bref, si on veut tenir l'objectif de supprimer 40% de guichets, il faut bien dégoûter le client du service public. Et en attendant, on fera tout pour augmenter stratosphériquement son impôt-temps, cette taxe ignoble sur la vie que les pauvres paient si cher.
Tout ceci n'a rien d'un hasard.
Lorsque Valls feint de découvrir que les Français croulent sous l'impôt, c'est qu'il sait pertinemment que ce tabassage fiscal est électoralement catastrophique et socialement très dangereux en rapprochant tous les jours un peu plus le pays d'une situation de blocage où les contribuables, exsangues, ne pourront plus payer. Lorsque les trésoreries tentent de diminuer le nombre de leurs guichets, c'est essentiellement parce qu'offrir internet pour seule interface avec des gens réels évite aux agents, en première ligne devant ces contribuables, d'être confrontés à une grogne qui devient de plus en plus physique.
Au vu de ces éléments, il n'y a plus à douter : la France apaisée de François Hollande est une réussite.