Quand commence la lecture du roman Vol à vif de l’écrivain malgache Johary Ravaloson, le lecteur que je suis a du mal à trouver ses repères. On se retrouve embarqué dans une situation particulièrement exotique : l’univers des voleurs de zébus de l’arrière pays malgache. D’ailleurs, on est pris par ce vol à vif, dans lequel l’écrivain nous narre le détail de l’action tout en nous présentant les différents personnages. Les brigands ourdissent leur plan et le mettent à exécution avec une certaine réussite. Ils arrivent même à semer leurs poursuivants dans un premier temps. Naturellement, et c’est tout l’intérêt du roman, un paramètre difficile à anticiper pour ces voleurs va être celui de l’intervention d’un hélicoptère pour permettre aux forces de l’ordre d’améliorer leur traque des voleurs.
Johary Ravaloson prend le temps de décrire les membres de cette bande de jeunes désoeuvrés. On découvre des personnages marqués pour les plus charismatiques par une forme de nihilisme. N’hésitant pas, par une action d’éclat, à choisir la mort plutôt que l’enfermement… Tibaar, le plus jeune du groupe assiste impuissant à l’exécution de ses compagnons. Par les hauteurs qui surplombent le lieu de l’affrontement, Tibaar s’extrait miraculeusement des griffes des forces de l’ordre, avec l’aide d’un papangue, sorte de milan malgache. La plume de Ravaloson est si sensible, si maîtrisée, si proche de ces jeunes délinquants qu’on se prend d’empathie pour ces personnages froidement abattus par la police. Il y a dans cette première phase du roman, une poétique sur la violence sourde qui, dans cette campagne reculée de Madagascar, fait étrangement écho au texte du guinéen Hakim Ba, Tachetures (Editions Ganndal). Il y a nihilisme.
Deux histoires se superposent pourtant. Au forfait des Dahalo (voleurs de zébus), Johary Ravaloson oppose une histoire plus ancienne. Celle du bannissement d’un nouveau né au sein du clan des Baar. Sur fond d’intrigue, d’héritages, de manipulation de Markrik, un des tous premiers cadres formés à la sauce occidentale, successeur naturel du chef traditionnel des Baar et qui nourrit de nombreuses ambitions à cheval entre deux mondes. Le nouveau né étant selon les oracles de ce clan porteur de malédictions mais aussi un prétendant à la succession, Markrik qui est en même temps le père de l’enfant, veut à tout prix la mort de l’enfant.
Quand j’ai dit tout cela, je n’ai rien dit. Car, tout l’art de Johary Ravaloson est dans la construction de son histoire, dans les rapprochements de ces séquences de narration qui au début de la lecture peut faire penser à des nouvelles totalement indépendantes. Quel lien peut-il y avoir entre ces jeunes voleurs de zébus et les intrigues de palais de Markrik? Il faut le lire.
J’aimerais souligner les nombreux points forts de ce roman. La première force de ce roman réside dans la spiritualité qui sous-tend le propos de Johary Ravaloson. Un des personnages au centre de ce roman est un prêtre Baar dont la prise de parole ou la réflexion explique l’empreinte spirituelle de ce roman. Un ancrage dans le culte des Ancêtres, dans l’animisme sous tend le propos de l’auteur malgache. Cet ancrage se traduit aussi par une description minutieuse et profonde des us et coutumes baar avec des points de notre point de vue actuel ne manqueront pas d’interpeler le lecteur. Comme le fait que les enjeux communautaires priment sur la vie d’un nourrisson qu’on est prêt à livrer à des fourmis dévoreuses. Ce qui d’une certaine manière n’est pas sans me rappeler le propos de Chinua Achebe où les igbos pour les mêmes raisons allaient abandonner des bébés jumeaux dans le bois sacré à la merci des bêtes sauvages, pour l’intérêt du clan.
Johary Ravaloson fait toucher au lecteur le poids de certains choix communautaires, le prix du bannissement et de l’exclusion mais aussi l’émergence d’une singularité, de l’individualisme. C’est une détermination à malgré tout être en quête de l’amour et du regard favorable des autres. Des interrogations de la fatalité, son sens. La figure de Tibaar va donc très intéressante à suivre. Ce roman est tellement riche. J’aborderais deux autres points :
L’écriture est totalement au service des personnages. Elle est poétique et je l’imagine portant la langue des Baar (si ce groupe ethnique n’est pas une fiction), la philosophie de ce peuple. Elle porte avec la même exigence chaque phase du roman.Le travail d’orfèvre de Ravaloson s’exprime aussi dans la conclusion du roman et dans les perspectives extrêmement ouvertes qu’il propose à ses personnages avec une interaction entre le mythique et le temporel.
Que dire d’autres? Beaucoup. Mais je suis sur un blog régi par des règles de publications. Donc, je vous prierai de vous faire une idée et de parler de ce roman autour de vous. Un texte qui sera publié aux éditions réunionaises Dodo vole.
Johary Ravaloson, Vol à vif
Editions Dodo vole, à paraître en février 2016