Après quelques jours de vacances, le chocobo est revenu chez lui pour constater qu’une MONTAGNE de mangas avait pris possession de sa boite aux lettres. Pour faire fondre la pile, on commence par des choses assez originales, dont vous avez sans doute entendu parler et qui se démarquent assez nettement du lot, par des choix graphiques et/ou scénaristiques : le fameux Levius qui divise pas mal le web, une mise à mort d’une rare intensité dans le tome 4 d’Innocent et le trop discret Drifters qui est toujours aussi délicieusement immoral. En route pour ces chroniques… Et bonnes lectures !
Levius de Haruhisa NAKATA chez Kana : Celui là ne laisse pas indifférent. Je dirais même que vous saurez très rapidement s’il est fait pour vous ou non dès les 62 premières pages du chapitre 1. Nous voilà dans un certain XIXe siècle. Mais pas le notre, non, celui d’une nouvelle ère qui fait suite à une guerre dévastatrice. A cette époque la boxe mécanique fait fureur : on y voit des lutteurs munis de membres artificiels qui s’affrontent dans de gigantesques arènes. Le jeune Levius, dont le père a été tué à la guerre et dont la mère est plongée dans le coma depuis le conflit, se découvre un talent tout particulier pour ce nouvel art martial et monte un à un les échelons, aidé par son oncle et entraîneur Zack. Cependant, alors qu’il s’approche des sommets, le destin de Levius semble se rapprocher de cette ancienne guerre dévastatrice… et être lié à l’avenir de cette nouvelle civilisation.
Ce n’est pas tellement le scénario qui pose question : ambiance steampunk dans la ville de Steamland, née d’une sorte de « révolution de la vapeur » et distillant des références évidentes à la seconde guerre mondiale, même si le style vestimentaire est plus du début du XXe. Ajoutez à ça l’ambiance des arènes et leurs gladiateurs plus ou moins mécanisés pour en faire de combattants surpuissants. Ces derniers, perdu dans ce nouveau monde, on choisit ce mode de vie pour y faire leur place et ils espèrent continuer jusqu’à mourir un jour face au public, pour graver leur nom dans les mémoires et dans le panthéon des guerriers. Dans ce monde de l’ère industrielle, devenu petit à petit mécanique et sans âme, familles et rêves ont tous été brisés, et chacun se complet dans ces plaisirs barbares. C’est de là, de ces ténèbres que va rejaillir une lumière… et l’espoir.
Vous l’aurez compris, on peut facilement se laisser entraîner par Levius et son héros sombre, qui traîne une histoire dramatique et sans lendemain, et qui tente une quête de sens et d’identité à travers la transcendance des combats. Mais voilà, cher lecteur, pour vivre ce voyage qui s’annonce palpitant il va falloir vous faire au graphisme de l’oeuvre. Levius n’est pas tout à fait, sur ce plan visuel, un manga comme on le définit habituellement, et tient plus office d’hybride. Comme tente de la définir l’éditeur japonais, il s’agit d’une nouvelle norme, un renouvellement du manga que nous évoquions il y a peu avec le directeur éditorial des éditions Sakka, rapport à la publication de Nicolas de Crécy chez Shueisha. Dans cette nouvelle norme, donc, on découvre des personnages et des décors hyper détaillés avec un trait et un crayon très présent mais très peu de jeux d’ombres, bien loin du style plus net et épuré japonais. Mais le plus marquant est l’innovation technologique avec la construction d’arrière plan / premier plan par un jeu de focus sur certaines parties du dessin, qui apparaissent nettes là où le reste est flouté pour donner une impression de profondeur ou de dynamisme.
Le tout donne à Levius une réelle singularité et, comme toute oeuvre innovante à forte personnalité, les gens sont partagés par cette bande dessinée qui part chasser sur des terrains inhabituels. Mais la démarche reste à saluer car la plupart de ses expérimentations produisent leur petit effet sur le lecteur, que ce dernier l’apprécie ou pas, et l’expérience ne demande qu’à mûrir, et peut être se retrouver dans quelques années par petites touches plus discrètes dans de futurs mangas. Ainsi, que vous lisiez de ce titre qu’il est moche ou qu’il constitue une véritable claque graphique (big up respectivement à Ours et à Remi), je ne saurais que vous conseiller de l’essayer par vous-même, pour explorer cette nouvelle piste !
Innocent #4 de Shin’ichi SAKAMOTO chez Delcourt : j’avais évoqué rapidement le premier tome de cette nouvelle série du mangaka d’Ascension. C’était magnifique dès le départ et ça l’est toujours, même si l’omniprésente poésie artistique de cet ouvrage, dans les corps comme dans les esprits, prend une tournure de plus en plus inattendue, oscillant entre violence et sensualité depuis quelques chapitres. Pour rappel Innocent c’est la vie de Charles-Henri Sanson, le célèbre bourreau de la Révolution française… La Révolution est encore loin mais il est temps pour notre homme de procéder à son premier écartèlement dans ce 4e opus.
Encore jeune et inexpérimenté, Charles-Henri est épaulé dans cette tache par son oncle Gabriel, exécuteur de Versailles, qui espère bien profiter de l’occasion pour briller tout en couvrant de honte Charles-Henri, afin de lui piquer la place de bourreau de Paris. Jusqu’ici notre héros refusait son statut d’exécuteur des Hautes Œuvres de sa majesté, n’y voyant que de la barbarie, et notre apollon préférait rêver de romance et de danses endiablées avec d’autres hommes beaux et immaculés, à la longue chevelure, tout en passant sa vie à aider la veuve, le pauvre et l’orphelin…
Le chara-design débordant de blancheur et de pureté de Shin’Ichi SAKAMOTO, aux accents yaoi pourrait-on dire, se pose violemment en opposition avec le destin qui attend notre bourreau, fait d’hémoglobine et de chair éparpillé. Le résultat est unique et il faut un peu de temps pour s’y faire, là aussi, mais il finit par prendre tout son sens dans cette époque de gloire et de décadence.
Charles-Henri, contraint par la déchéance de son père, s’est donc mis au travail, mais en s’y reprenant à plusieurs fois pour décapiter son premier condamné, le malheureux. Néanmoins, petit à petit, il a changé de regard sur sa tache : puisqu’exécution il doit y a voir, autant offrir aux malheureux une mort rapide et digne. Rapide il y a peu de chance cela dit, car lorsqu’on agresse sa majesté le Roi, on ne peut espérer mourir promptement et sans souffrir. Après des journées de torture l’exécution a donc débuté et les supplices s’enchaînent avec atrocité : avec des tenailles chauffés à rouge on arrache des lambeaux de peau puis on fait couler de l’huile bouillante dans les plaies béantes avant de carboniser avec du souffre fondu la main par laquelle le coupable a agressé le Roi. Le mangaka ne nous fait pas de cadeaux : même s’il magnifie ce spectacle morbide en le comparant à une danse survoltée qui se déroule sur une musique douce et élégante, la souffrance du supplicié et ses cris sont bien présents et durs à supporter.
Dès ce préambule à l’écartèlement l’ambitieux Gabriel vacille, à l’inverse de Charles-Henri qui endosse enfin son costume de grand bourreau. Malheureusement le calvaire n’arrive à son apothéose que lorsque le coupable est attaché à quatre chevaux pour voir ses membres arrachés. On en avait presque oublié que Gabriel, dans sa quête de renommée, a fait mettre en place quatre canassons vieux et faibles à la place des destriers vigoureux prévus, pour faire durer l’écartèlement. C’est uniquement grâce au sang-froid et aux connaissances pointues en anatomie que, après 1h30 d’agonie, Charles-Henri mènera à terme cette mise à mort, commençant ainsi à tracer sa propre voie. Un spectacle et une souffrance physique comme on en a rarement connu. En plus d’être un titre prenant de par son contenu historique, largement détaillé en bonus d’ailleurs, voici un seinen des plus intenses… et des plus marquants.
Drifters #4 de Kohta Hirano chez Tonkam : J’en finit cette semaine avec ce manga complètement barré qui m’avait séduit dès le départ : l’idée est de réunir les plus grandes figures héroïques, militaires et politiques de l’Histoire, de Raspoutine à Nobunaga en passant Billy The Kid ou Jeanne d’Arc, et de les mettre dans deux camps opposés, les Drifters et les Parias… Le but avoué : qu’il se fasse la guerre pardi, pour se régaler d’affrontements dantesques faits d’armes blanches mais aussi d’explosifs, de fusils, d’elfes, de nains et de grands noms qui n’ont qu’une seule hâte, celle exploser le plus d’adversaires possibles et de lutter contre des ennemis enfin à leur hauteur !
Si je vous reparle de ce titre c’est pour son absence de moralité qui est des plus rafraîchissante. Tout amateur de célèbres guerriers ou stratèges s’est toujours demandé qui était le plus fort. Donc quitte à faire le pari fou de les mettre sur un même champ de bataille, autant y aller à 100% et sans aucune retenue, pour se faire plaisir. Pas de débats éthiques sur les conséquences d’une guerre ou sur les populations qui souffrent, pas de retour de bâtons moralistes dès qu’un plan tordu a fait mouche : tous les coups sont permis dans un univers de Dark Fantasy très bien choisi car il peut cumuler sans incohérences majeures les peuplades ou civilisations les plus diverses, tous comme les armes ou les magies les plus évoluées.
Enfin n’allez pas croire que les deux camps de ce récit viennent poser des frontières manichéennes puisque les héros de l’histoire, les Drifters, n’ont franchement rien de preux chevaliers : leur chef est un samurai totalement bourrin qui ne vit que pour et par son sabre et la tête pensante du groupe, notre cher Nobunaga, est un manipulateur né, avide de conquête et de pouvoir… De l’autre coté, les bad guys semblent frustrés par l’injustice de leur ancienne existence ou en quête d’une vengeance pour rétablir une pseudo moralité.
« On est des guerriers, on compte parmi les meilleurs de l’Histoire, on aime ça et on assume… et de toute façon on ne sait faire que ça, alors laissez-nous aller leur mettre une bonne grosse pâtée bordel de merde ! » : voilà comment on pourrait résumer ce seinen totalement jouissif !
Et voilà pour ces lectures… Comme d’habitude je ne parle pas de tout : je pense attendre la fin de Sangsues pour en faire un bilan, Yamada-kun and the 7 Witches tout comme Bestarius attendront une spéciale shônen qui arrive le mois prochain et il faut que je lise les seconds tomes de The Devil’s Line et Kamen Teacher Black pour voir si la bonne surprise se confirme ou non. De tous ces titres et d’autres, il en est plus questions sur les réseaux sociaux comme Instagram, Facebook ou Twitter pour des sessions de lecture en live. Je termine par l’habituelle photo de la pile de tomes à lire et à chroniquer, et vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour une spéciale Kurokawa pour rattraper deux mois qui sont des plus alléchants, comme vous pouvez le voir :