Comme tous les ans, tous les cinéphiles de la toile s’écharpent pour savoir si le cru allénien de l’année est un grand ou un petit Woody Allen, et encore plus que les autres années, je suis de ceux qui défendent becs et ongles la cuvée 2015 du maitre Woody.
Après plusieurs œuvres récentes considérées par beaucoup comme mineures (bien que j'adore notamment "Minuit à Paris" et "Vicky Christina Barcelona" et même Magic in the Moonlight),cet homme irrationnel d'humeur et de tonalité bien plus sombres que les derniers opus du maestro- Blue Jasmine excepté, fut comparé lors de sa présentation hors compétition officielle à Cannes par certains festivaliers comme une œuvre majeure qui retrouverait l'excellence, voire le génie de l'auteur de "Match Point", d'Annie Hall, ou de Manhattan.
Hélas depuis sa sortie en salles, l’enthousiasme est retombé et rare sont ceux qui s’opposent aux critiques assez violentes lues sur la toile autour de cet homme irrationnel.
Alors certes on peut me taxer de manque d’objectivité- j’ai dit récemment à l’occasion de la sortie d’un superbe ouvrage le concernant à quel point ce cinéaste figurait en très bonne place de mon panthéon personnel, mais pour moi son quarante-cinquième long métrage (ah oui quand même) est largement à placer au dessus de la mélée, parmi la quinzaine de très grandes œuvres auxquelles nous a habitué le maitre depuis ses débuts dans les années 70.
Pendant toute la projection de cet homme irrationnel, je n’ai pu que savourer ce cinéma profond et intelligent, nous donnant des pistes de réflexion à la fois ludiques et philosophiques qu’on n’a quand même pas souvent l’habitude de voir traiter ainsi au cinéma.
Alors certes sans doute, comme tous les grands auteurs, Woody ressasse les mêmes thématiques et cette variation autour de crime et châtiment a déjà été abordée dans plusieurs de ces films – de Crime et Délits à match Point, mais il parvient à en faire une synthèse de ces œuvres plutôt singulière avec une nouvelle approche dont la maitrise et la conduite ne peut que forcer l’admiration.
Woody Allen visiblement particulièrement inspirée par sa nouvelle muse Emma Stone pétillante et pétulante sonde de façon bien plus profonde et intelligent qu'il ne le laissait paraître les principes moraux qui déterminent un homme, a priori un homme qui ne trouve plus aucun sens et aucun goût à la vie.
Joaquin Phoenix, assurément un des meilleurs acteurs américains du moment, est épatant et vraiment charismatique-malgré la bedaine et les T shirts sales- dans ce rôle de cet Abe Lucas, professeur dépressif qui recouvre goût à la vie d'une manière peu consensuelle et conformiste.
Chez Woody Allen comme toujours les héros n’existent pas, son univers n’est composé que de personnes qui semblent plus ou moins dupes d’eux-mêmes et de leur vanité et confrontés à leurs désirs et leurs doutes existentiels.
Imprévisible, surprenant et teinté de ce beau mélange entre romantisme (avec toujours son amour pour la gent féminine qui resplendit de film en film) autodérision et forcément une pincée de cynisme, Cet homme irrationnel brille par cette façon légère qu'il a de traiter de thèmes d’une grande densité, et de nous amener sans que l’on s’ennuie jamais vers une conclusion à la fois inattendue mais assez cohérente, en miroir inversé à Match point (on n’en dit pas plus pour ne pas trop spoiler).
Dire qu'Allen ne fait que recycler et ressasser les memes idées depuis 30 ans est à mon sens un faux procès qu'on lui fait, tous les grands metteurs en scène, de Scorsese à Hitchock en passant par Almodovar ou Loach- pour citer mes réalisateurs de chevet- ont toujours fait de même et puis , franchement quand ces thèmes et ces idées sont d'une telle intelligence et d'une telle profondeur, la réponse est toute trouvée...
Après l'autre question inhérente au cinéma allénien est sans doute de savoir si Woody pourra atteindre la perfection de Manhattan et Annie Hall qui restent à mon sens ces deux sommets indépassables? Sans doute pas mais quand meme quel bonheur que cet homme irrationnel surtout si on le compare avec la production courante...
Car une nouvelle fois, Allen, qui ne fait jamais des films de 2 heures comme une grande majorité de ses collègues possède la belle 'élégance de boucler son histoire plein de rebondissements, d'image particulièrement soignée (la photo est signée Darius Khondji, le chef opérateur de James Gray), et de dialogues existentiels vraiment brillant en moins d'une heure quarante pour une œuvre que l’on suit avec une jubilation et un plaisir constants.
Bref un excellent cru et encore une fois, difficile, voire impossible de comprendre les rabat joies qui semble visiblement un peu trop s’habituer à l’excellence :o)
Bande-annonce de "L'homme irrationnel", de Woody Allen