Samedi matin, lors de l'inauguration à la salle Glenmor de Carhaix, de la 25e édition du Salon du Livre en Bretagne, nous avons eu droit à quelque chose de finalement assez rare dans le monde culturel plutôt prudent habituellement, un discours d'ouverture très politique et engagé. Vous trouverez, ci-dessous, la version en français des propos de Martial Ménard.
Bonjour
à tous,
C’est
un grand plaisir pour moi d’avoir été choisi par les
organisateurs comme président d’honneur de ce 26e
Festival du Livre en Bretagne. Je les en remercie de tout cœur.
C’est un grand plaisir pour plusieurs raisons. D’abord je
n’oublie pas que j’ai moi-même été éditeur pendant près d’un
quart de siècle, ce qui représente quand même quelque chose. C’est
encore un grand plaisir, n’allez pas croire que j’aime les
honneurs : je le laisse à ceux dont on entend le nom de
Bretagne à l’approche de certaines élections, comme ce sera le
cas en décembre. Non, c’est surtout un grand plaisir car je
n’oublie pas ce qui se passa à Quimper il y a 25 ans, alors que je
déjeunais en compagnie de Jean-Yves Cozan, Charlie Grall, quelques
membres de Stourm ar brezhoneg, une poignée d’élus et quelques
représentants de l’Equipement, pour trouver une solution à la
mise en place du bilinguisme signalétique. C’est là, entre la
poire et le fromage, que naquit le Festival du Livre de Carhaix. Et
il continue, année après année, d’honorer le travail des
éditeurs en Bretagne ! Il faut louer la constance et la
persévérance des organisateurs : c’est un exemple pour tous
ceux qui veulent faire quelque chose pour la Bretagne, tant au point
de vue culturel que politique.
On
a entendu beaucoup de discours depuis la première inauguration du
festival par Youenn Gwernig en 1990. Je voudrai rappeler quelques
paroles de Pêr Denez lorsqu’il fut lui aussi président d’honneur;
A l’occasion du Festival du Livre on verra à Carhaix tout ce
qu’on édite aujourd’hui en breton. Les gens seront contents : il y a beaucoup
de livres, des livres de toutes sortes, bien imprimés, bien illustrés, de quoi
intéresser toutes sortes de lecteurs.
Ce qu’on ne verra pas, c’est le dévouement, le sacrifice, le
volontariat des militants qui travaillent sans gloire pour faire vivre leurs
éditions. Pour les faire vivre ou survivre, tant il est difficile de trouver
des lecteurs dans un pays où l’on apprend à lire qu’à un nombre restreint de
gens.
Que nos ouvrages soient beaux et bons – et ils le sont – ils
sont peu de choses comparés aux éditions en français. Comme sont peu nombreux
les élèves à qui on enseigne dans leur langue, dans les écoles Diwan ou
bilingues, comparés à ceux à qui elle n’est enseigné en aucune manière. Tout
comme est indigente la place réservée à notre langue à la radio et à la
télévision, et plus indigente encore dans la vie publique et administrative.
Il nous faut mener un dur combat, un combat révolutionnaire
pour gagner à notre peuple, à notre pays, à nous-mêmes, le droit de vivre libre
et librement notre culture.
20
ans après Pêr Denez, on peut dire exactement la même chose, ce qui
à l’évidence n’est pas un bon signe.
Car
c’est dire que la politique menée par la Région n’a pas été
efficace, malgré les belles paroles que l’on entend parfois, et il
n’y a pas encore très longtemps.
Car
c’est dire clairement que l’Etat français continue un subtil et
hypocrite travail de sape en faisant semblant de défendre les
langues minoritaires, avec la Charte Européenne, par exemple, charte
qui a été signée, mais pas ratifiée.
Car
c’est dire encore plus clairement que nous ne combattons avec
suffisamment de force et de pugnacité pour recouvrer nos droits
linguistiques. Nous n’avons pas besoin de gens qui disent être
d’accord avec la langue bretonne : nous avons besoin de gens
qui parlent le breton et qui le transmettent à leurs enfants et leur
entourage, au vu et au su de tous. Car il y a beau dire, si les
Bretons veulent que leur langue vive, il leur appartient de la parler
au quotidien pour tous les besoins de leur vie, et encore plus pour
les besoins de l’esprit que ceux du cœur. Ceci fut dit on ne peut
plus clairement en 1968 par un Irlandais, Eoghan O Neil : « Une
nation sans une langue et le courage de ses convictions, pense comme
une province, se comporte comme une province, est traitée comme une
province ». Pour bien comprendre cette phrase, il faut savoir
que le mot « province » signifie « pays vaincu »
(du latin vincere
vaincre).
Je
voudrai également rappeler le titre d’une chanson qui connu son
heure de gloire dans les années 1970, une chanson d’Alan Stivell :
« Hep brezhoneg, Breizh ebet ! » (sans langue
bretonne, pas de Bretagne !). C’était plus qu’un titre :
un titre-slogan ! Ce slogan indique clairement que la langue
bretonne est l’essence même de la Bretagne, exactement ce qui fait
que la Bretagne n’est pas une province, mais un pays dans tous les
sens du terme, avec tous ses droits à reconquérir.
***
Et
puisque nous sommes à Carhaix, une ville depuis longtemps exemplaire
pour l’emploi de la langue bretonne, grâce au travail de gens
constamment impliqués dans la lutte pour défendre l’intégrité
de la Bretagne, l’avenir de notre langue, la vie de notre économie,
de notre culture, en refusant de vivre dans une province ;
puisque nous sommes à Carhaix donc, et que les futures élections
régionales approchent, je rappelle que la liste Oui la Bretagne
menée par monsieur le maire portera très haut les couleurs et
l’honneur de la Bretagne. Ce sera un honneur pour chacun d’entre
nous de porter cette liste vers la victoire et cesser d’être une
province.