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Les bactéries qui nous habitent ont leur mot à dire
Publié le 26 octobre 2015 par Rbranche @RobertBranche
Décider sans savoir pourquoi (5)
Ils conditionnent notre capacité à plus ou moins bien transformer notre nourriture en énergie : une bactérie vient d’être identifiée qui, selon sa présence chez la souris, fait que celle-ci grossit plus ou moins ; elle dialogue avec les cellules de la paroi intestinale de la souris, et active les gènes qui déclenchent le fait de brûler des graisses. Résultat : la souris stocke plus ou moins d’énergie. Autre propriété des microbiotes : selon ses caractéristiques, nous avons des prédispositions à certaines maladies. Peut-être prochainement, pour avoir une action préventive, il suffira d’étudier la flore intestinale.
Selon les bactéries qui nous habitent, selon notre flore intestinale, notre corps fonctionne donc plus ou moins bien. Mais nos pensées ? Est-ce que notre comportement dépend de ces hordes de micro-organismes qui vivent en nous ?
Pour commencer à répondre à cette question surprenante, des tests ont été réalisés sur deux groupes de souris, les unes agressives, les autres pas : quand on échange leurs microbiotes, les calmes deviennent agressives, et réciproquement. Une preuve que le microbiote influence le cerveau. Autre exemple d’action conditionnée chez la souris avec le cas de la toxoplasma : présente au sein d’une souris, elle peut générer une attitude suicidaire en poussant la souris à se laisser approcher par des chats, et ainsi à être mangée, ce pour le seul bénéfice de la toxoplasma. En effet, celle-ci se développe mieux dans l’organisme d’un chat et a tout intérêt à ce que la souris soit mangée.
Et l’homme ? Sommes-nous aussi influencés par notre microbiote ? Difficile de répondre à cette question, car comment isoler l’effet mental d’un probiotique, surtout car il est lui-même composé d’une multitude de molécules ? Une étude publiée en mai 2013 par Kirsten Tillisch, du centre de neurobiologie du stress de Los Angeles, apporte une première réponse positive. Le test a porté sur soixante femmes auxquelles on a donné des yaourts avec ou sans probiotique. L’étude a montré que celles qui ont pris des probiotiques sont moins réactives aux images négatives et potentiellement menaçantes : on modifie des yaourts, et en conséquence, on modifie ce qui se passe dans le cerveau ! Mais attention prudence car si les effets sont certains, mais ils sont largement encore imprécis. Il est seulement possible de dire qu’une composante de notre comportement doit venir des bactéries qui nous habitent.
Nous aurions donc en quelque sorte trois cerveaux : deux en propre – un venu du fond des âges et tapi dans les méandres de notre intestin, un doté d’un néocortex qui fait de nous un homme –, et le microbiote intestinal – cent mille milliards de bactéries, depuis notre naissance, qui nous accompagnent et nous influencent. C’est de l’interaction de ces trois composantes que naissent nos décisions, et non pas seulement de ce que nous appelons notre conscience.
Qu’en aurait pensé Sigmund Freud s’il avait su que notre intestin et les bactéries qui s’y trouvent, agissaient sur nos émotions et nos choix ? A côté de la psychanalyse classique, faut-il en appeler à une psychanalyse gastrique et bactérienne ? Je ne vois pas comment arriver à les faire parler de leurs rêves. Faut-il essayer de faire allonger les bactéries sur des divans ?
(à suivre)