Front National : la peur au sommet

Publié le 25 octobre 2015 par H16

Sur le papier, la chasse à l’électeur n’est pas encore officiellement ouverte, ce qui explique peut-être le braconnage virulent auquel on assiste actuellement : tout indique en effet que les régionales, si elles peinent à intéresser le Français, mobilisent en revanche toutes les attentions de la classe politique française, à commencer par son sommet.

Et c’est ainsi que François le pédalomane s’est exprimé récemment sur la question des prochaines élections régionales lors d’un passage, parfaitement neutre, au-dessus des partis et en tant que président de tous les Français, à RTL où, lors de l’entretien qu’il a accordé, il a déclaré dans son phrasé consternant avec sa dose habituelle d’hésitation, de « heu… » et de lourdes respirations :

« Quand des votes se font, ils ont toujours un impact en France et à l’étranger. Une région qui serait dirigée par le Front national, ça aurait des conséquences, y compris dans les décisions que ses élus auraient à prendre, avec des discriminations, l’abandon des politiques sociales ou de politiques à l’égard des familles en faisant des distinctions entre les familles. »

Venant de sa part, et en première analyse, c’est bien évidemment une véritable tempête de lieux communs et de poncifs que le chef de l’État a déchaîné sans vergogne. Ainsi, on apprend coup sur coup que les votes ont un impact, bim !, qu’une région qui change d’exécutif, ça a des conséquences, bam !, qu’il y aurait des discriminations et des changements dans les politiques sociales, boum ! ce qui est un peu, il faut bien le dire, le but même d’une élection et d’un changement de tête.

En seconde analyse cependant, les politiciens avisés auront compris que Hollande, en petit tacticien sans scrupules, émet simplement un rappel avec une menace à peine voilée à l’attention des futurs dirigeants des régions : comme une partie des financements de celles-ci dépend directement de l’État, et donc, des choix qui seront impulsés par l’exécutif national, le président de la République rappelle qu’un vote frontiste pourrait signifier une baisse aussi inopinée que drastique des dotations et autres subventions. Le message, pour les votants comme pour les potentiels futurs élus, est limpide : dévier de la pensée correcte, du vote officiellement admis, c’est risquer l’assèchement des subventions, des dotations, et par conséquence, la fin de programmes sociaux généreux.

C’est, ni plus ni moins, une espèce de chantage qui ne surprendra que ceux qui ne voient obstinément qu’un bon gros nounours dans le personnage hollandiste là où se cache en réalité un arriviste prêt à absolument toutes les veuleries pour obtenir ou conserver le pouvoir. Et dans ce cadre, le Front National joue bien sûr un rôle majeur, dont le dosage est de plus en plus délicat.

Par exemple, le parti de Marine Le Pen pourra servir au président pour distribuer des paires de claques aux éventuels dissidents socialistes qui renâclaient encore à l’Assemblée ou dans les régions. C’est un excellent rappel à l’ordre derrière le chef, c’est aussi une menace crédible pour appeler à l’unité de la gauche. Dans cette stratégie, les gains du FN sont en réalité bénéfiques à Hollande.

Maintenant, on se demande jusqu’à quel point le gouvernement doit accumuler des boulettes consternantes pour tailler des boulevards au Front. Par exemple, est-il très malin de laisser les clandestins voyager gratuitement sur les lignes SNCF ? Par exemple, déplacer ces clandestins par avion privé est-il totalement judicieux ? Par exemple, est-il vraiment utile de laisser un Bruno Le Roux, pas réputé pour sa brillance intellectuelle, s’exprimer sur ce dernier sujet, surtout pour affirmer qu’il ne s’agit en rien d’un luxe ?

De la même façon, quelle tactique puissamment pensée aura présidé au foirage assez magistral de l’émission Des Paroles Et Des Actes de France 2 qui devait voir s’exprimer Marine Le Pen ? On comprend l’ulcération d’un Cambadélis, lui-même encore moins brillant que le pauvre Le Roux, lorsqu’il a appris que la dirigeante du FN allait participer à l’émission en question, mais on comprend mal l’intérêt de Sarkozy de lui emboîter le pas pour qu’ils réclament l’un et l’autre au CSA d’intervenir au motif, parfaitement grotesque, d’équité de temps de parole alors que la campagne n’a pas encore officiellement commencé. La réaction de Marine Le Pen lorsqu’il lui fut imposé un traitement spécial est une magnifique illustration d’un retour de flamme parfaitement logique et prévisible : sans même avoir eu à débattre, elle a instantanément gagné des électeurs, témoins des manœuvres outrancières des deux chefs des principaux partis du pays.

Évidemment : tant qu’on singularise le FN, tant qu’on le considère à part dans les médias, tant qu’il bénéficie d’un traitement d’exception, les institutions publiques, les politiciens et les journalistes obtiendront exactement le contraire de ce qu’ils veulent, à savoir que le FN redevienne l’efficace repoussoir qu’il fut dans les années 80. En refusant de le normaliser et donc de le ramener à la portion congrue qu’il occuperait normalement dans un débat démocratique ouvert, les différents partis l’ont bien singularisé et, conséquemment, lui ont donné une importance et une place qu’il n’aurait jamais pu espérer autrement.

Tout le problème, c’est que le Front National a évolué sans que les politiciens le comprennent. Notamment, beaucoup croient encore que Marine Le Pen a modifié le programme de son père pour attirer de nouveaux électeurs, alors qu’en réalité, elle s’est contenté d’adapter ce programme aux demandes explicites des nouveaux arrivants. Ce sont ceux-là qui ont poussé à refaçonner le programme : oui, ce sont les déçus du socialisme version PS qui ont amené le FN à leur fournir une réponse, pendant que la grille d’analyse des journalistes et des politiciens, elle, n’a pas varié d’un cachou. Grâce à l’attitude de ces derniers, là où le FN était avant un vote nationaliste et anti-immigrationniste, il est devenu un vote avant tout contestataire, ce qui est particulièrement efficace dans des périodes où les électeurs sont désemparés et les politiciens perdus.

En outre, ce que refusent de voir les socialistes (et ce qui fera, d’ailleurs, leur défaite ultime) c’est que la réussite du Front National n’est plus depuis au moins deux ans un échec de la droite, mais bien un échec de la gauche à émettre des idées et fournir une alternative crédible à celles de la droite. En déboulant en 2012, fleur au fusil, la gauche socialiste traditionnelle a cru remplacer la droite dans l’esprit des électeurs du centre, ceux qu’il faut capturer pour gagner une élection ; en réalité, en fournissant seulement un exutoire aux déçus du sarkozysme et à ceux qui ne pouvaient plus voir l’ex-président en peinture, la gauche n’a fait que repousser de quelques mois le constat qu’elle ne valait pas mieux que la droite qu’elle entendait remplacer.

Dans ce tableau, les autres partis — verts, communistes et autres radicaux plus ou moins crédibles — n’ont jamais été que des petits accessoires pratiques du socialisme officiel pour conserver le pouvoir, et aucun ne peut prétendre non plus succéder au socialisme officiel comme le fait le Front National. De ce point de vue, ce parti conserve son rôle de « voiture balai » de la politique française qu’il a toujours été, en ramassant les égarés des grands partis traditionnels.

Dans ce cadre, les menaces de Hollande illustrent bien le souci évident de toute la classe politique, ce qui la terrorise tant actuellement : jamais les égarés n’ont été si nombreux.

Tout ceci va très bien se terminer.

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