Reste la jubilation que l'on ressent à voir Binet titiller les idoles, en mettant à nu (souvent au sens littéral) ces figures intouchables de la pensée qu'il s'amuse parfois à rendre arrogantes, lâches ou libidineuses. Quoi de plus réjouissant que de voir Althusser infidèle, Kristeva en parfaite maîtresse de maison, Foucault en prise avec des problèmes intestinaux ? Privilège de la fiction, qui donne à voir - avec plus ou moins de mauvaise foi - les failles des grands hommes, et fournit le prétexte à des dialogues enlevés et des situations absurdes, souvent très drôles.
Et s'il égratigne les mythes, l'auteur réserve ses coups de griffes les plus acérés aux intellectuels mondains, qu'il drape de son mépris avec une ironie lapidaire. En témoignent les blagues gimmick sur les chemises de Bernard-Henri Levy, et l'émasculation de Philippe Sollers dans une scène d'anthologie, l'une des plus réussies du récit. Finalement, des fachos aux gauchos, chacun en prend pour son grade, et l es petites mesquineries de l'âme humaine sont disséquées avec talent.
Pas évident de faire un livre destiné à la fois aux néophytes et aux happy few initiés aux joies de la pensée structuraliste. Laurent Binet s'en sort donc avec une fiction inégale, ni totalement ratée ni totalement réussie. On referme néanmoins ce roman en ayant envie de (re)lire Bourdieu, Austin, Barthes bien sûr, et tous les autres...Et c'est déjà bien.