L'espace de pure présence, de conscience nue, est toujours présent, comme le ciel qui ne dépend pas de la présence ou de l'absence des nuages.
Pourtant, nous n'en tirons aucun bienfait, faute de le reconnaître.
Autrement dit :Dans la journée, nous vivons tous des moments sans pensées. Pourtant, nul "éveil" ne se produit. Aucune certitude bouleversante, nulle révolution intérieure. Pourquoi ?L'état de pure conscience, mais sans reconnaissance, sans claire conscience, privé de vive présence, ressemble à s'y méprendre à la pure présence. Ces deux états ont en commun l'absence de pensée et un certain calme. Mais dans l'absence sans pensées, le calme dépend de l'absence de pensées, c'est-à-dire d'un état d'endormissement : on ne pense à rien parce que la conscience est comme endormie. Dans la pure présence sans pensées, en revanche, des pensées peuvent survenir, mais cela ne perturbe pas l'impression de calme, car cet état est un état de connaissance, de discernement, où le silence se sait silence par-delà les mots, où la conscience est consciente d'elle-même. La différence entre ces deux états est donc immense. L'état d'absence conduit à un calme temporaire. L'état de présence vive conduit à la paix qui dépasse l'entendement, le calme absolu qui ne dépend pas des circonstances, ni extérieures, ni même intérieures.Prenons un exemple concret :Je regard un arbre, sans retour sur moi. Je ne fais nul effort. Dans cet état, il y a conscience, mais une conscience simple, comme ignorante d'elle-même, plongée dans l'objet - l'arbre. Dans cette saisie, il y a un certain calme, un répit. Mais dès qu'un bruit ou un souvenir surgissent, le silence disparaît, la paix semble s'envolée, "je ne suis plus centré". Et pourquoi ? Parce que l'ignorance demeure. J'ai vu l'arbre, mais je ne me suis pas vu moi-même.En revanche, si je regarde l'arbre, toujours sans juger, simplement. Alors, le calme de l'état précédent s'instaure. Je regarde l'arbre comme un enfant. C'est indicible. Mais à présent, je regarde cela qui regarde. La conscience se retourne sur elle-même, se ressaisit. Il y a alors un état de pure présence indicible, absolument calme. Et, à la différence de l'état sans pensées précédent, il y a maintenant une certitude que "je suis cet espace conscient, clair comme le jour, transparent, sans limites". Il y a donc une sorte d'éveil, une connaissance ou une re-connaissance (car l'espace conscient à toujours été ce qu'il est), un rappel, une prise de conscience, une réalisation.Ces deux états se ressemblent, car ils sont indicibles et sans pensée discursive. Mais ils sont aussi éloignés que le jour et la nuit, car dans l'état d’absence sans pensées, le calme est du à l'ignorance, une sorte d'aveuglement, comme dans l'obscurité. Je ne vois rien, parce que je ne peux rien voir. C'est une absence, un vide par défaut. On ne voit rien parce qu'on est comme aveugle. Dans l'état de présence sans pensées, le calme est du au contraire à la connaissance qui distingue nettement entre la pure conscience et les pensées qui passent, etc. C'est aussi un état indicible, qui dépasse toute connaissance mentale, discursive, mais par excès de lumière, comme dans un éblouissement. Je ne vois rien (en particulier) parce que je vois tout.Ces deux états sont calmes et indicibles en un sens. Mais l'un l'est pas défaut, l'autre par excès. Leurs effets sont donc très différents.Une dernière chose : il est presqu'impossible d'accéder à la pure présence sans goûter la pure absence. Dans la pratique de la méditation, on commence en effet par se détendre, en observant se qui passe. Un calme s'installe, qui est souvent une sorte de torpeur légère. Ensuite seulement, le regard se retourne et l'espace se reconnaît. De plus, une fois que la conscience s'est reconnue, cette distinction est moins importante. En tous les cas, il ne faut pas, à chaque instant de la méditation, se demander si l'on est dans la présence ou dans l'absence, car dans ce cas, on resterait toujours dans le mental ! Une reconnaissance suffit. La certitude engendrée n'étant pas d'ordre mental, elle n'est pas soumise au temps ni au changement. Et quand on semble sombrer dans une sorte de torpeur, la présence nue revient d'elle-même. La douceur est alors essentielle. La torpeur est bonne en effet : elle permet de plonger. Elle "vide", elle apaise le corps. Et dans cette immensité, le soleil de la pure présence peut briller, d'autant plus radieux et pénétrant que le ciel est limpide.A