[Critique] THE WALK – RÊVER PLUS HAUT
Titre original : The Walk
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Robert Zemeckis
Distribution : Joseph Gordon-Levitt, Charlotte Le Bon, Ben Kingsley, Clément Sibony, James Badge Dale, Ben Schwartz, César Domboy, Steve Valentine…
Genre : Drame/Thriller/Biopic/Adaptation
Date de sortie : 28 octobre 2015
Le Pitch :
Philippe Petit est un artiste de rue, qui émerveille les passants parisiens avec ses nombreux numéros. Fasciné par le funambulisme, sa vie change du tout au tout lorsqu’il découvre, dans un magazine, l’existence des Tours Jumelles du World Trade Center, à New York, dont la construction va bientôt s’achever. Son rêve ultime prend forme. Dès lors, Philippe va se mettre en tête de tendre un câble entre les deux buildings pour ensuite se lancer, sans protection, dans la traversée. Bille en tête, il commence à élaborer, aidé par des complices, son projet délirant. Mais la route sera longue jusqu’au jour où, enfin, le français va se retrouver suspendu dans le vide, à plus de 400 mètres du sol. Histoire vraie…
La Critique :
Le Coup ! C’est ainsi que Philippe Petit appelle sa traversée sur un câble tendu entre les tours jumelles du World Trade Center à New York. Un « coup » légendaire qui inscrivit son nom dans la légende et qui aujourd’hui, après avoir fait l’objet d’un documentaire oscarisé, se retrouve au cinéma, grâce à Robert Zemeckis.
The Walk fait fantasmer les fans du cinéaste et plus globalement les amateurs de grand cinéma depuis l’annonce de sa mise en chantier. Tourné en 3D car envisagé sous ce seul format par Zemeckis, le film fut également pensé pour les salles IMAX, afin de procurer un maximum de frissons aux spectateurs. Le but ? Nous donner le vertige. Nous permettre d’approcher au plus près les sensations ressenties par le funambule, quand sous ses pieds, se déploie, quelques 110 étages plus bas, la ville de New York. Le tout bien installé dans son fauteuil, au chaud, en sécurité.
Beaucoup de réalisateurs auraient pu déclarer une telle chose sans émouvoir le public ou donner particulièrement envie. Le truc ici, c’est qu’on parle de Robert Zemeckis. Un des grands maîtres du cinéma américain. Le responsable de la trilogie Retour vers le Futur, de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, ou encore de Forrest Gump. Et quand un homme comme lui, non corrompu par le cynisme , mais aussi toujours garant d’une patine authentique, et représentant à plus d’un titre (avec une poignée d’autres metteurs en scène dont Spielberg), de l’âge d’or du divertissement hollywoodien, promet quelque chose, on y croit. À 100%. Si The Walk devait donc donner le vertige, nous pouvions être sûr qu’au final, le spectacle serait total. Zemeckis n’allait pas utiliser la 3D pour faire joli, tout comme il n’a pas utilisé la performance capture (dans Le Pôle Express, Le Drôle Noël de Scrooge et La Légende de Beowulf) en vain. Jusqu’ici, le réalisateur a prouvé qu’il maîtrisait la technologie et qu’il savait en outre l’utiliser pour nourrir son récit. Zemeckis est un conteur d’histoires. Un grand conteur d’histoires. Il s’agit également d’un précurseur. D’un génie de l’image. Jamais ses effets ne sont tape-à-l’œil. Et c’est précisément pour cela que la 3D de The Walk ne doit pas être considérée comme accessoire, mais comme le puissant vecteur d’une émotion vibrante. Le procédé met en valeur les effets-spéciaux et donne au récit une dimension supplémentaire en cela qu’il renforce l’immersion et permet de comprendre les motivations et les émotions du personnage principal.
Prenons par exemple Forrest Gump, avec lequel -et ce n’est pas forcément évident dit comme cela- The Walk partage quelques points communs essentiels. Un film sans aliens ou créatures nécessitant de grosses images de synthèse. Pourtant, Forrest Gump est gavé d’effets-spéciaux. Quand Forrest rencontre John Lennon par exemple, ou encore JFK. Quand il joue au ping-pong aussi. Des effets à la fois spectaculaires et invisibles, car totalement intégrés à l’histoire. Dans The Walk, c’est pareil. Quand on y pense, le film tourne entièrement autour des tours jumelles. Détruites par les attentats du 11 septembre 2011, ces dernières ne sont plus et ont donc été recrées en studio. Sans parler des scènes dans lesquelles Petit se retrouve sur son câble, le long-métrage aligne les effets visuels ahurissants. Il reconstitue un paysage spectaculaire, pièce par pièce, avec un réalisme saisissant et l’exploite en tant que toile de fond pour nous narrer l’aventure à peine croyable d’un artiste tenant finalement plus du poète que du pur performer.
The Walk bénéficie du charisme de son personnage principal. La vie et l’exploit de Philippe Petit, ce trompe-la mort bien de chez nous, méritaient bien d’être racontés avec tout le faste discret qui caractérise la démarche de Zemeckis. Dès le début, il est simple de s’attacher à ce saltimbanque virevoltant, qui avance, sans se préoccuper des « nons » et des « tu ne devrais pas c’est impossible ». Sur le papier, sa trajectoire est déjà inspirante. Sur un écran de cinéma, elle devient carrément galvanisante. Tenant sur une morale simple et efficace qui encourage à réaliser ses rêves sans se préoccuper de ce que les autres peuvent penser, The Walk ne cherche pas à révolutionner le sens profond inhérent aux actes de son héros. Il n’en rajoute pas des louches. En ce sens, Zemeckis traite Petit comme Forrest Gump. Comme un homme seul face à son destin, dont chaque pas semble le rapproche d’un accomplissement aux accents universels.
Cela dit, The Walk est aussi un formidable film de casse. En marge de l’aspect biopic (première partie) et de l’exploit (dernière partie), il se concentre aussi, entre les deux, sur la réalisation du fameux « coup ». Dans le rôle de la banque à forcer, le World Trade Center, dont la construction vient à peine de s’achever. Épaulé par ses complices, dont chacun occupe une fonction bien particulière, Petit doit s’infiltrer pour installer son matériel. La logistique est importante et l’opération ne laisser aucune place à l’approximation. Avant de lancer Joseph Gordon-Levitt, Zemeckis le propulse au cœur d’un « cambriolage » hors norme, aux enjeux spirituels. La tension monte petit à petit tandis que se dessine à l’horizon une conclusion que l’on espère épique comme promis. En attendant, le film fait plus que meubler. Il passionne dès le début.
Bien entendu, la distribution n’est pas étrangère à une telle réussite. Notamment parce le cinéaste est un excellent directeur d’acteurs et que son casting est bien plus costaud qu’il n’y paraît. Mi-français, mi-américain, celui-ci est concerné et investi. Que l’on parle de Charlotte Le Bon, parfaite, de Clément Sibony, très touchant, ou encore de Ben Kinglsey, lui aussi émouvant et un poil fantasque (juste ce qu’il faut). Tous font corps derrière un Joseph Gordon-Levitt exceptionnel. Charmeur, parfois cabotineur, il sait laisser percer le doute, avant que la force du tempérament de son personnage et la sienne ne reprennent le dessus. Dans le vide ou sur le plancher des vaches, Joseph Gordon-Levitt participe à la montée en puissance d’une extraordinaire tension, de plus en plus palpable.
Après Flight et sa gravité sous-jacente, Robert Zemeckis revient au merveilleux. Pourtant, il n’extrapole jamais. Ce qu’il fait, c’est surtout offrir un écrin à la poésie dévastatrice du spectacle que propose Philippe Petit quand il se lance dans son « coup ». Quand il tente la mort en la regardant dans les yeux, pour mieux célébrer la vie. Ode au courage et à la détermination, son nouveau long-métrage est un chef-d’œuvre pour tout un tas de raisons. Pour autant, c’est dans son dernier acte qu’il se révèle être le plus tétanisant. Rarement le cinéma n’aura su proposer un spectacle aussi incroyable de réalisme. Le vertige. Zemeckis nous l’avait promis et en effet, son film offre largement son lot de sueurs froides. Encore plus fort : The Walk va au-delà de la démonstration de force visuelle. Oui on s’y croirait et oui c’est incroyablement fort. Mais ce qui fait que le numéro de Petit colle la chair de poule et émeut aux larmes, c’est cette poésie. Ce lyrisme présent depuis le début, qui nous explose au visage sans prévenir. Soutenu par les sublimes accords d’un Alan Silvestri en grande forme, Joseph Gordon-Levitt et Robert Zemeckis tutoient les nuages, au propre comme au figuré. Ils s’envolent et nous font ressentir des émotions rares (dans une salle de cinéma en tout cas). Ce sont des œuvres comme The Walk qui font que l’on aime autant le cinéma. C’est avec ce genre de films que naissent les vocations, que le moral remonte et que les larmes expriment une joie mêlée d’admiration.
Philippe Petit n’a pas réalisé un exploit sportif. Il a exprimé son art. Sans mots, en risquant sa vie, tout en ayant l’air de la chérir. Sa prouesse, Zemeckis en fait un monument.
Et c’est au terme de l’aventure, qu’on se rend véritablement compte de son ampleur. Quand se dévoile la somme d’intentions de ce projet un peu fou. Sur les notes de piano de Silvestri, dont la délicatesse évoque celle de Forrest Gump, le film nous fait réaliser qu’en filmant Petit en train de relier les tours, Zemeckis a aussi relié deux époques. En cela, The Walk est aussi l’une des grandes œuvres sur l’après-11 septembre. Une ode à la liberté, dans tous les sens du terme.
@ Gilles Rolland