Titre original : Invictus
Note:
Origine : Etats-Unis
Réalisateur : Clint Eastwood
Distribution : Morgan Freeman, Matt Damon, Tony Kgoroge, Scott Eastwood, Robert Hobbs, Langley Kirkwood, Bonnie Henna…
Genre : Drame/Biopic/Adaptation
Date de sortie : 13 janvier 2010
Le Pitch :
1994, Nelson Mandela, libre depuis quatre ans, est élu Président de la République d’Afrique du Sud. Le pays, après presque 50 ans d’Apartheid, souffre de tensions continues entre une minorité blanche et le reste de la population noire. Mandela, qui souhaite réconcilier la nation arc-en-ciel et, va utiliser un sport chéri des Afrikaners, le rugby, comme source d’unité nationale. En 1995, l’Afrique du Sud est le pays hôte de la Coupe du Monde. Les Springboks, équipe en manque de résultats, n’auront qu’une mission : gagner le titre suprême. Histoire vraie…
La Critique :
La voiture présidentielle sous escorte. D’un côté de la route, dans un terrain de fortune, de jeunes Noirs qui jouent au foot courent vers la voiture, pleins de joie. De l’autre côté, de jeunes Blancs jouant au rugby dans le terrain d’en face, tirent la gueule, et leur coach grommelle la fin de l’Afrique du Sud. La scène semble manichéenne mais reflète à la fois le film et l’ambiance dans le pays à l’époque. Invictus nous plonge au tout début du mandat de Mandela. L’Apartheid, régime raciste et ségrégationniste, a pris fin quelques années avant. Nelson Mandela, prisonnier pendant 27 ans, est élu et il y a des tensions très vives à tous les niveaux de la population. On peut le voir au début du film, quand les gardes du corps de Mandela craignent jusque la menace d’une camionnette circulant rapidement dans la rue, ou quand on voit la méfiance entre les bodyguards et l’équipe spéciale arrivée en renfort. À chaque fois, Mandela tient un rôle de pacificateur, n’hésitant pas à affronter son propre camp qui voulait retirer à l’équipe nationale de rugby, chérie par les afrikaners, son nom et son emblème. On voit que le chantier de la réconciliation est immense quand le Président élu essuie, de la part de supporters, sifflets, jets de projectile set démonstration de drapeaux de l’ancien régime lors de sa venue au stade pour un match entre l’Afrique du Sud et l’Angleterre.
Clint Eastwood a beau avoir une image de conservateur en raison de son engagement de longue date en faveur du parti Républicain, il a tenu, à maintes reprises des postures plus libérales dans ses films. Dans Jugé Coupable, il s’en prend au système judiciaire à deux vitesses américain qui emmène un Noir dans les couloirs de la mort. Dans L’Échange, il dénonce la corruption au sein d’une police en quête de résultats et prête à écraser quiconque contesterait ses enquêtes. Dans Lettres d’Iwo Jima, suite miroir de Mémoires de Nos Pères, il montre le point de vue des japonais lors d’une bataille de la Seconde Guerre mondiale (presqu’une hérésie à Hollywood). American Sniper, jugé à tort comme la glorification du tireur d’élite américain, montre comment le patriotisme chevronné peut mener quelqu’un dans la guerre jusqu’à sombrer dans une sorte de soif de sang. Dans Chasseur Blanc, Cœur Noir, son personnage s’en prend au racisme ordinaire de colons lors d’un dîner, et Gran Torino ouvre les yeux d’un retraité revêche et haineux qui réalisera à quel point il a tort lorsque ses voisins asiatiques se montrent plus aimants que sa propre famille. En adaptant le livre Déjouer l’ennemi : Nelson Mandela et le jeu qui a sauvé une nation de John Carlin, Eastwood reste dans une logique qui l’a emmené dans une partie de sa filmographie en tant que réalisateur. Et pour appuyer son propos, le cinéaste va multiplier les séquences riches en symboles, comme celles citées plus haut mais aussi l’évolution du ressenti, vis-à-vis de l’évolution de la société, du capitaine François Pienaar (joué par Matt Damon). Il a grandi dans une famille hostile à Mandela, se rapproche peu à peu du chef d’État et va chercher à convaincre ses coéquipiers (eux aussi afrikaners pur sucre). Un cheminement qui l’emmènera à essayer de comprendre comment un homme qui a vécu 27 ans en prison cherche à se réconcilier avec ceux qui l’y ont mis. Le cadre d’Invictus, un tournoi sportif, peut paraître anecdotique, mais au sein de l’Afrique du Sud, l’enjeu est énorme. En 1995, l’Afrique participe à sa première coupe du monde, et même l’organise. À l’époque, cette compétition, créée en 1987, n’en est qu’à sa troisième édition. Durant l’Apartheid, le pays était persona non grata des instances sportives internationales. Une très grande partie des nations du rugby boycottaient le pays. Les rares sélections nationales qui partaient en tournée en Afrique du Sud causaient un grand scandale dans leur pays respectifs (il y eut d’immenses manifestations en Nouvelle-Zélande quand les All Blacks l’ont fait). Par conséquent, les Springboks, une fois la démocratie installée, étaient une équipe, certes moins mauvaise que le montre le film, mais pas non plus un épouvantail. Pour autant, le rugby était le sport chéri des afrikaners, soutien majoritaire de l’équipe nationale (le reste de la population préférait le football, voire supportait les équipes adverses). Lorsque Mandela est au pouvoir, il veut utiliser un événement majeur pour servir de vitrine au pays (ce qu’en relations internationales, on appelle soft power) et choisit le rugby au grand dam de la grande majorité de son électorat, dans un objectif de réconciliation de la nation arc-en-ciel.
C’était un défi pour Madiba et ses partisans, mais cela l’a été aussi pour Eastwood : filmer et rendre le plus cinégénique un sport qui ne l’est pas, en raison de la complexité de ses règles et de ses nombreuses phases statiques. Néanmoins, les valeurs de combat, d’abnégation, de solidarité, véhiculées par l’ovalie entre dans les canons du cinéma hollywoodien, et le mélange entre la guerre de tranchées chez les avants et un jeu animé à l’arrière passe plutôt bien à l’écran. Les différentes phases de jeu sont montrées, les chocs et le jeu rugueux des sudafs sont bien retranscrit. Dans un soucis de coller à la réalité, Eastwood a été jusqu’à embaucher des joueurs de rugby (certes peu connus) et a essayé d’enrôler la star française Sébastien Chabal pour une caméo. Matt Damon, dont la ressemblance à Pienaar n’est pas frappante, a subi un entraînement intensif pour étoffer son gabarit. Certes, ce n’est pas identique à celui qu’il est sensé incarné, mais la transformation est notable. Le film a pourtant subi quelques critiques, non de la part de cinéphiles, mais d’aficionados du ballon ovale, car certains éléments ont été enjolivés ou oubliés. En effet, la légende est plus belle que l’histoire. Il y a des suspicions de dopage chez les Boks de l’époque, alimentées par des articles de presse, ainsi que l’état de santé de certains joueurs, comme le demi de mêlée Joost van der Westhuizen, aujourd’hui atteint de la maladie de Charcot (maladie qui a touché de nombreux sportifs suite à la prise de substances prohibées) et qui, à l’époque, avait pris de la masse musculaire de manière spectaculaire. Autre controverse, la suspicion de corruption de l’arbitre qui a refusé des essais valables à la France en demi-finale et arborait une jolie montre en or offerte par la fédération sud-africaine le soir de la remise du titre de champion du monde. Enfin, les All Blacks n’étaient pas dans leur état de forme optimal, victimes d’une intoxication alimentaire deux jours plus tôt (selon des journalistes, ils auraient été empoisonnés par une serveuse). Mais la légende sportive et la volonté de réconciliation nationale étaient peut-être à ce prix.
Le film a été aussi critiqué pour avoir enjolivé la situation du pays à la fin du tournoi. Les tensions entre communauté sont toujours extrêmement vives. En 2010, après le meurtre, par ses jardiniers, du leader d’extrême droite suprématiste Eugène Terre’blanche, on pouvait craindre des représailles des deux camps, et les obsèques ont eu lieu sous un important dispositif de sécurité. Depuis la mort de Mandela le pacificateur, l’avenir du pays est incertain. On retrouve les mêmes problèmes dans le sport. En 1995, Chester Williams était le premier noir et le seul à jouer chez les Boks (il joue moins de matchs que ce qu’affime le film). Dans les années 2000, le travail du sélectionneur Jake White va dans le sens d’intégrer des joueurs de couleur dans le squad, ce qui permettra à des joueurs de talent comme Habana ou Pietersen d’exploser au grand jour. Mais les afrikaners tentent toujours un lobbying pour freiner cette évolution. Cette année, le sélectionneur Heyneke Meyer a été pointé du doigt pour ne pas avoir sélectionné assez de joueurs de couleur pour la coupe du monde, des critiques cristallisées par la presse et l’opinion publique après la défaite face au Japon. Tout n’est donc pas aussi rose que dans Invictus.
Néanmoins, s’il n’est pas le meilleur Eastwood, Invictus s’avère être un très bon film. Certes, il est académique et a tendance à en faire des caisses, comme ces séquences à grands renforts de musique emphatiques et qu’on croirait par moments issues d’un musical de Disney. En contre-balance, le jeu d’acteurs est d’excellente qualité. Morgan Freeman, à qui Eastwood a donné de très grands rôles (Impitoyable, Million Dollar Baby) et Matt Damon sont bluffants, l’un en Nelson Mandela plus vrai que nature, l’autre en François Pienaar réaliste jusque dans son leadership. On découvre plusieurs très bons acteurs sud-africains dont on espère un avenir. Le film soigne pas mal de détails jusque dans la scène finale, à l’origine du film lui-même, et dont l’immortalisation en photo fait partie de ces clichés qui ont dépassé le cadre de la photo de sport pour rejoindre l’histoire avec un grand H. It matters not how strait the gate/How charged with punishments the scroll/I am the master of my fate /I am the captain of my soul (Aussi étroit soit le chemin, Nombreux les châtiments infâmes, Je suis le maître de mon destin, Je suis le capitaine de mon âme).
@ Nicolas Cambon
Crédits photos : Warner Bros. France