« Les fantômes existent. Je le sais. » Sur cette certitude énoncée par Edith Cushing (Interprétée par Mia Wasikowska), Crimson Peak ne cache rien de son classicisme ni de sa fantaisie. Guillermo Del Toro s’essaye dans un genre littéraire codifié, tellement peut-être que un exercice de style, où le déjà-vu trône à côté des ectoplasmes. Le cinéaste signe un fidèle hommage à quelques pairs du cinéma et quelques auteurs identifiés par leur style gothique. Esthétiquement travaillé et tenant clairement du théâtre, Crimson Peak ose une distinction discrète par ces deux atours.
Les reproches adressés au film souligneront un défaut cruel d’audace. A la fin, demeure la curieuse sensation d’être nez à nez avec des décors familiers, des rebondissements communs et une incitation finale propre à justifier la croyance de fantômes. Ni les acteurs ni les lieux ne franchissent une faute de goût éventuelle. De Crimson Peak, l’on en retient une réalisation appliquée, fière et de qualité, peu ou prou comparable à l’exercice d’un bon élève. Pour être complète, il manque de l’originalité, des prises de risques, et un approfondissement pour sortir des ornières de ses maîtres.
« L’histoire dont vous être l’héroïne ! »
Il existe un ou deux moments surprenants. Du reste, Crimson Peak N’EST PAS un film d’horreur. Pour preuve, tout ou presque ressemble à une nouvelle littéraire portée à l’écran.
Empreint volontairement de gothique jusqu’à en être prisonnier, le long-métrage plonge à coeur perdu dans des sillons démodés pour tenter d’en dépoussiérer les acquis. Autrefois Alice dans le dernier Alice aux pays des merveilles de Tim Burton, l’actrice Mia Wasikowska incarne une nouvelle forme de candeur. Écrivaine refusée pour sa typographie féminine, le personnage ponctue son manuscrit de spectres métaphoriques. L’innocence de la jeune Edith Cushing se justifie par la présence d’entités vaporeuses autrefois charnelles d’être puissamment émotionnelles. Pour le bel-âtre incarné par Tom Hiddleston (Loki dans les films Avengers.), les amabilités verbales et les intentions malicieuses suffiront pour s’éprendre avec intérêt de la jeune femme.
Conte, récit fantastique, saturation colorée. Crimson Peak parvient à mêler toutes ses inspirations.
L’ironie noire structure la narration d’une manière assez semblable à l’oeuvre de Bram Stocker et autres classiques du genre gothique : Dracula. Les indices visuels, les tenues ostentatoires en opposition aux vêtements ternes et sans élan, les transitions : tout, ou presque, concourt à donner doucereusement des clefs du danger avec un style constant. Un pas sépare l’hommage de la volonté de brouiller les pistes, et donc de rendre l’audience « active » : plutôt que d’être en constante phase d’alerte, les scènes s’enchainent avec la facilité d’une mécanique réglée à la perfection.
Visuellement, le film n’a pas à pâlir. Essentiellement, le cinéaste à l’ouvrage démontre son travail par un rendu visuel inspiré.
Épreuve initiatique amenée à devenir une pièce de fiction pour notre jeune protagoniste, l’intégralité de Crimson Peak rappelle une galaxie d’idées prises ici et là. La finalité du scénario ramène à un grand classique de la littérature illustrée de jeunesse en redorant les lettres oubliées des Aventures dont vous êtes le héros. La blondeur de l’innocente victime présente un choix digne des contes populaires qui constellent le parcours de tout lecteur ou de tout réalisateur qui se respecte. Un petit pas s’effectue dans la sphère fantastique en rationalisant, avec simplicité et efficacement, l’existence de spectres. Les ressorts de la comédie romantique prennent un pas lourd tout en étant nécessaire. Constellé, Crimson Peak dégage un rythme bien linéaire, prévisible, alors que les notions parsemées laissaient songer à un équilibre respectable et attendu.
La recette d’un film parfait résulte d’un tour de main et d’idées capables de fonctionner entre elles. Le métissage des genres s’effrite par un savoir-faire sans aspérité … et pourtant pensé avec des nuances intéressantes.
Classique pour devenir culte ?
Dario Argento n’est pas un fantôme. Le cinéaste a clairement marqué l’esprit de Guillermo del Toro dans ses déambulations nocturnes habilement maîtrisées.
Crimson Peak se confond à une idée qui n’a pas su aller au terme de son potentiel. Les dialogues édifiants sont en déficience notable et ont une voie de compensation dans des décors vraisemblables : ce n’est pas un hasard si le souvenir majeur laissé par Guillermo del Toro tient à une reproduction de style.
Une fois encore, le cinéaste multiplie les suggestions et les laisse périr sans approfondir les possibilités de sa création.
La seconde partie du film n’exploite pas suffisamment un manoir déliquescent, solidement fermé à double serrure par un trousseau de clefs fourni. En bref, l’ensemble des éléments littéraires répondent présents sans emporter ni se jouer de notre imagination : étrangement, on serait prêt à glisser quelques idées supplémentaires dans le rythme calculé de la narration. Des dizaines de minutes n’auraient pas été superflues pour inspecter un peu plus les mystères du ruineux château anglais ou pour permettre des échanges affinés entre les personnages … En somme, les espaces de suspens (Au sens propre comme au figuré.) devaient gagner en intensité et en détails pour se rendre plus indispensables et remarquables.
L’idée d’une argile envahissante jour et nuit, hiver comme Eté, une explication rationnelle à la perception de fantômes … Guillermo del Toro ne manque pourtant pas d’idées pour alimenter Crimson Peak.
La réalisation relève haut la main le défi visuel. Dans les titubations nocturnes de la demeure désargentée des Sharp, Dario Argento et son film Suspirio agissent comme de bons souvenirs de cinéphile. (Eclairages partiellement saturés, visions soudainement horribles face à un visage quasi enfantin de notre actrice …) D’autres techniques contribuent à une identité esthétique placée dans le patrimoine cinématographique. Pêle-mêle, l’on assiste à des usages modérés de fondus enchainés (Similaires à ceux d’Alfred Hitchcock.), des fermetures au noir ou encore des transitions fonctionnelles grâce à des codes de coloris simples. (Un vêtement noir, une robe … Des prétextes visuels de moins en moins visibles dans les dernières productions.)
Guillermo del Toro met en scène des éléments intéressants … mais ne parvient pas à leur donner une importance méritée. Cet effort non fourni se ressent terriblement dans Crimson Peak.
A regarder de près, Crimson Peak se construit une oeuvre où la perfection s’entiche d’imperfections dominantes. Romantisme, fantastique, comédie, drame : une coloration détonante impossible à maintenir sans des variations de tons, de rythmes, d’intrigues. L’idée d’un couple démodé et sinistre (Jessica Chastain et Tom Hiddleton.) par exemple, témoigne d’une interprétation correcte malheureusement mal mise en valeur. Ce duo témoin correspond à toutes ces matières à anoblir en les mettant en scène, c’est-à-dire en leur apportant du charisme. Ce sans quoi l’intrigue ne paraît pas assez complexe ni enrichie pour être abordée. En réalité, du caractère théâtral, ne subsiste qu’une ossature peu masquée pour émouvoir, étonner, se dénoter.
Agréable et constant, Crimson Peak prend la forme d’une oeuvre référencée et cantonnée à ressasser des acquis visuels, techniques et stylistiques où la touche personnelle de Guillermo del Toro se perd. Infiniment plus sérieux qu’un Dark Shadows (Tim Burton), Guillermo del Toro ne parvient pas à sortir le roman gothique de son sommeil dogmatique. Il en résulte une fable réalisée sous influence où les principaux défauts reviennent à la réalisation. L’art de la mise en scène manque le coche d’une écriture originale. Malgré un goût de déjà-vu, le résultat opère … quitte à oublier de vraiment se distinguer.On a aimé :
+ Les trouvailles visuelles artistiques. (Argile suintante, éclairages saturés …)
+ Un corps d’acteurs cohérent.
+ Un hommage au genre gothique. (Films et romans confondus.)
+ Décors et ambiance réussis. (Différences dans les costumes, effets spéciaux usés avec parcimonie, lieux vraisemblables …)
On a détesté :
– Une intrigue linéaire
– Une réalisation bonne élève mais peu originale.
– Un manque de relief et de suspens dans les genres abordés.