"Pensée hybrides" Wela 2015
"Pensées hybrides"
S'il s'agit de peinture aujourd'hui dans l'exposition de l'artiste franco-polonaise Wela présentée par la jeune galerie Jola Sidi à Paris, il faut associer ses toiles récentes à la démarche globale d'une artiste qui ne cesse de relier, d'une pratique à l'autre, ses interrogations sur le monde dans lequel elle est impliquée : " Ma recherche artistique s’intéresse aux différentes sphères et aux relations qu’entretiennent entre eux sur le plan philosophique la frontière entre l’objet et le non objet, l’intérieur et l’extérieur, et sur le plan visuel, les relations entre l’espace bi- et tridimensionnel."
Déjà dans l'expérimentation des anamorphoses, pratique héritée du seizième siècle et quelque peu délaissée de nos jours, elle nous donnait à voir, presque à toucher, cette qualité pourtant impalpable de sa création : le passage du dessin à son reflet dans un cylindre métallique. De ces anamorphoses il reste dans les tableaux de cette nouvelle série "Pensées hybrides" le recours fréquent aux toiles circulaires qui, me semble-t-il, n'a rien d'anecdotique. Car la préoccupation de Wela n'est pas étrangère aux questions fondamentales de la condition de l'homme dans cet espace vital fragile qui se circonscrit à la planète. Entre terre et ciel, Wela poursuit une quête dans laquelle peinture, sculpture mettent en scène les éléments naturels dans leur relation à la pensée. Cette année encore, dans le cadre en plein-air du Haras de Bouffemont, "Piège satellite", une installation en forme de toile arachnéenne tissée entre des arbres, jouait de cette connexion avec la nature comme l'exprimait également la "Couronne d'Epines" présentée notamment dans "Jardins en métamorphose" à Thiais en 2012, sculpture végétale dont le rouge écarlate balançait entre la référence au christianisme et l'évocation d'une nature en souffrance. Volontairement ou non, Wela recourt souvent à cette forme giratoire : anamorphoses, toile d'araignée, couronne d'épines, toiles circulaires témoignent de cette fascination pour un espace concentrique à l'image des univers galactiques et de leur inaccessible mystère.
"Pensée hybrides" Wela 2015
Cette attraction récurrente pour les formes circulaires apparaît encore une fois dans ce qui s'apparente à la coupe sanguinolente d'un arbre victime d'une sanglante décapitation. L'arbre, reliant le ciel et la terre de ses racines à ses ramures, reste une préoccupation constante de l’œuvre de Wela. De cette nature souvent martyrisée elle a dressé, dans la série des "Trophées", un funeste tableau de chasse dans lequel les souches suppliciées sont exposées comme autant de sinistres victoires sur la nature. L'arbre, encore lui, dans '"Piédestal pour un arbre" installé au musée de sculpture contemporaine de Vilnius en Lituanie, reçoit un hommage d'ordre philosophique. L'arbre, toujours lui, supportait les installations lumineuses de Wela pour le festival "Viva cité" à Sotteville les Rouen.
Dans ses dessins Wela s'est employée, pour "sortir le tableau de lui-même", à intégrer sur le plan de la toile cette troisième dimension végétale pour mieux associer dans une pratique artistique globale les éléments natifs de ses sujets. La dépendance réciproque des composantes naturelles et humaines interfère sur la sphère de la pensée, implication que l'artiste ne manque pas de suggérer dans ses réalisations.
"Les racines du ciel"
En 1956, Romain Gary écrivait dans "Les racines du ciel" qui lui valut le prix Goncourt cette même année : "Les racines étaient innombrables et infinies dans leur variété et leur beauté et quelques-unes étaient profondément enfoncées dans l'âme humaine - une aspiration incessante et tourmentée orientée en haut et en avant - un besoin d'infini, une soif, un pressentiment d'ailleurs, une attente illimitée."
Cette ode à la nature, teintée de spiritualité, préfigurait les préoccupations à venir sur les dangers auxquels allait être confronté le monde du vivant. La série des "Pensées hybrides" de Wela participe à cette démarche d'une artiste animée par l' aspiration vers une approche responsable d'un monde nous permettant à la fois de vivre et de penser cette vie.
Wela
Pensées hybrides
Exposition du 15 octobre au 15 décembre 2015
Galerie Jola Sidi
80 rue des Gravilliers
75003 Paris