« La boutique ferme à 19 h », m’avait dit avec une aménité calibrée une voix féminine alors que je m’enquerrais des horaires afin de ne pas manquer mon rendez-vous avec le froid fruité des fins de repas harmonisées. C’est de l’ordre du rite. Lorsque je suis invité, j’aime jouer de l’imprévu. Surprendre, c’est mettre un pied dans une promesse. Pas de fleurs, pas de vin ni rouge ni blanc, encore moins à bulles. Je ne choisis pas de livre non plus, tant les goûts sont multiples et n’invitent qu’au dialogue policé. Pas de confiseries chocolatées qui obligent à multiplier les gourmandises. Les usages et les règles brident l’initiative. La civilité et la convivialité s’inventent au gré des circonstances. C’est le bonheur de celles-ci d’être toujours recommencées. Les manuels des bonnes manières sont à réécrire. Autant de justes raisons pour me rendre chez ce glacier de centre-ville réputé pour être un artiste du froid. Son talent à unir des saveurs l’a rendu indispensable à la bonne tenue des dîners en ville. Sorbets et crèmes glacées pacifient les débats incandescents.
Soit une glace, donc. C’est la voix du téléphone qui est là. Je suis le seul chaland devant une longue vitrine réfrigérée surmontée d’ardoises où d’exotiques dénominations taquinent l’imaginaire gustatif. D’instinct, je sens que le dialogue est possible. « Je voudrais sortir du classique vanille-fraise… ». « ... ou du vanille-chocolat… », répond-t-elle froidement. Nous voilà sur la même longueur d’onde. L’étalage est une palette de couleurs fondantes. Devant une fresque organisée selon un algorithme mystérieux, l’envie de dialogue prend le dessus. Comme la glace est rompue, je pense à haute voix : « Je vois la pistache… elle est très claire… jadis, elle était d’un vert soutenu, sans doute artificiel... ». Elle acquiesce. « Nous n’utilisons que des produits naturels… la pistache n’est pas verte... vous voulez goûter notre pistache ». Qui serait contre une dégustation improvisée ? Pas mal, la pistache, elle parle à l’esprit. L’honnêteté du consommateur m’oblige à souligner toute la suavité de l’échantillon. Une envie de s’en mettre plein le cornet. J’avise la vanille. « Elle a l’air veloutée votre vanille… ». « Nous ne travaillons que de la vanille bourbon, direct de Madagascar … elle a pris 30 € en deux mois… je ne sais pas où on va avec la vanille, … c’est notre base, la vanille … vous voulez la découvrir ? ». Que je veux, oui ! Et hop, une cuillerée de démonstration. « C’est vrai qu’elle est supérieure… c’est comme le vin elle se mérite… ». C’était juste un mot pour complimenter, sans arrière-pensée. « Nous avons réalisé une crème à base de Sauternes, il faut la laisser mollir… le Sauternes s’apprécie froid mais non glacé … ». Je laisse fondre. Cette fonte des glaces me laisse espérer beaucoup en l'humanité. C’est une révolution de palais. « Attendez, j’ai une surprise avec la crème glacée Sauternes… ». Elle s’extrait de la boutique et revient avec un pot de glace. « C’est une crème au Bleu d’Auvergne, à associer avec le Sauternes… ». Surprenante car inconnue de ma mémoire, cette alliance me convainc de la force des innovations. « J’ai pas mal vendu la boîte d’une litre en mélange Sauternes-Bleu d’Auvergne… savez-vous si vous hôtes ont prévu du fromage ? ». Je ne savais pas.
Il fallait en finir. Prolonger la dégustation impromptue allait me fâcher avec les horaires convenus. Pas question de se mettre en froid avec ceux qui se décarcassent pour cultiver l’amitié. Finalement, j’ai conclu par une glace à deux tons, poivre vert framboise. Pour rien au monde, je n’aurais voulu briser la chaîne du froid.