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Paul West fait partie de ces écrivains dont on se dit, en apprenant sa mort à 85 ans, qu'il n'était pas assez connu, au moins des lecteurs francophones. Une bonne partie de son oeuvre n'est d'ailleurs pas traduite, bien que ses pairs l'appréciaient, si j'en juge d'après ce tweet de Joyce Carol Oates apprenant, il y a quelques heures, sa disparition: "This is very sad. Paul West was a virtuoso stylist, unpredictable & wildly imaginative."
Il a publié plus de vingt romans, dont une dizaine sont parus en français - sans parler de ses essais ou de sa poésie. J'avais lu, il y a un quart de siècle, Le médecin de Lord Byron. Et je regrette d'en être resté là.
Paul West a pris toutes les libertés dans Le médecin de lord Byron où il donne la parole à Polidori, qui était en effet médecin, mais qui se voulait écrivain et se trouva bien heureux d'accompagner Byron à travers l'Europe. Jusqu'au moment où il se rendit compte qu'il était en réalité considéré plutôt comme homme à tout faire que comme secrétaire et guérisseur, sinon lorsque Byron, à force de s'être endolori le sexe dans tous les corps de passage, réclamait ses soins - ce qui était peut-être une autre façon de se faire plaisir, Polidori étant jeune et charmant, et Byron semblant attiré par lui, les attouchements médicaux se faisant donc à la plus grande joie de celui qui les réclamait.
C'est du moins ce que nous raconte Polidori, mais nous sommes bien forcés de le croire puisque nous ne voyons que par ses yeux le poète échevelé battre la Belgique, la Suisse et l'Italie en traînant derrière lui une réputation de génie et de dépravation. Polidori a passé un accord avec un éditeur anglais pour écrire ce livre, mais de bonnes âmes l'ont détruit ensuite. Paul West a donc pu le reconstituer sans crainte d'être contredit par un texte qui n'existe plus.
Polidori souffre en compagnie de Byron. Il se sent diminué par lui, rejeté dans l'ombre, moqué sur ses prétentions d'auteur. Mais de temps à autre la situation s'inverse: le médecin écossais d'origine italienne - qui compte sur ce voyage pour gagner le pays dont il rêve - apprend à exercer son ironie et pousse le poète jusqu'aux derniers stades de la colère. Il est la souris qui joue avec le chat, toujours sous la menace d'un coup de patte meurtrier qui parfois en effet le frôle ou le blesse. Mais il se relève et reprend son harcèlement.
Que s'est-il passé dans la villa Diodati, sur les hauteurs de Genève, entre le couple Shelley et Byron? On sait que, suite à un pari vite oublié par la plupart des villégiateurs, Mary Shelley donna naissance à un des monstres les plus célèbres de la littérature, Frankenstein. Mais dans le climat houleux et passionné du séjour, Polidori voit se dessiner bien d'autres intrigues, qu'il ne comprend pas toujours mais rapporte fidèlement, avec une sorte d'horreur amusée, de pudeur sans cesse reprise et abandonnée. Car au fond, son rêve est non seulement de devenir un écrivain aussi célèbre que Byron, mais aussi d'accompagner sa carrière littéraire du même cortège d'errements amoureux. Polidori est-il à la hauteur? Non, bien sûr. Mais Paul West, lui, se débrouille fort bien à peindre l'étrange couple qui sort de l'histoire littéraire pour prendre vie.