Ben Vautier chez Tinguely

Publié le 21 octobre 2015 par Elisabeth1

Ben Vautier. Est-ce que tout est art ?

Ben Vautier est un showman multilingue (vidéo), passant du français, à l’allemand, puis à l’anglais, dans une même phrase avec une facilité déconcertante.
L’amour c’est des mots, écrit-il, il a avant tout l’amour des mots, c’est un poète à 60 % suicidaire, mais il nous rassure dans un grand sourire : je ne me suiciderai pas ! (podcast)
La culture manipule ? Acrobate du verbe, avec sa faconde c'est lui qui nous manipule, même si vous n'appréciez pas particulièrement son art, il est d'une franchise désarmante, il clame, écrit
persiste et signe, l'artiste est égocentrique,


angoissé, vaniteux, peureux, philosophe. C'est aussi un perfomer, il se moque des journalistes qui se pressent à sa visite, en les appelant :" allez les moutons"; ils sont plutôt conquis par sa bonhommie et suivent patiemment les curateurs dans les 3 espaces aménagés au rez de chaussée du musée Tinguely.
Le musée Tinguely présente toujours avec pertinence, dans ses expositions des artistes
en adéquation avec l'esprit de Jeannot Tinguely.

Le Musée Tinguely montre l’univers artistique de Ben Vautier pour la première fois dans son ensemble en Suisse. L’artiste franco-suisse vivant à Nice, connu surtout sous le nom de Ben, dit lui-même : « Je signe tout » – commentant ainsi, par ses images et actions, le monde comme un tout. « L’art est inutile », « Je suis le plus important » – c’est avec ce genre de propos que Ben Vautier crée délibérément la confusion et la provocation depuis près de 60 ans, mais tout en incitant aussi à la réflexion.

Car chaque phrase, aussi brève soit-elle, recèle un immense potentiel de questions capitales sur la vérité dans l’art, le rôle de l’artiste dans la société ou le rapport entre l’art et la vie. Ses écritures couvrent un très large éventail : réflexions intimes ou théories postmodernes sur l’art et jusqu’à l’anthropologie ou la religion. Elles sont le reflet de ses questionnements personnels sur ces thèmes et témoignent d’un esprit critique qui n’hésite pas à remettre en cause tout et tout le monde – y compris son propre ego. Par la manière dont elle mêle les arts, la philosophie et le quotidien, l’oeuvre de Ben est unique. À partir des ready-mades de Marcel Duchamp,

Ben perpétue de façon systématique l’idée selon laquelle une oeuvre d’art est reconnaissable non pas par sa teneur matérielle mais exclusivement par la signature. Les images écrites à la main qui font les commentaires de Ben sont assurément une caractéristique essentielle de son art et en constituent la griffe.
Ben fut l’un des premiers artistes en Europe à faire descendre l’art dans la rue. À partir de 1959, il élargit ensuite la notion d’art courante avec ses fameuses « actions de rue ». Celles-ci peuvent être des gestes quotidiens (attendre à un arrêt de bus) ou plutôt ‘décalés’ (traverser le port de Nice à la nage habillé, avec un chapeau).

Dans les années 1960, avec ses nombreuses actions, Ben devient un personnage majeur du mouvement Fluxus en Europe. Une sélection de ses performances – qu’il nomme simplement « gestes » –est présentée au Musée Tinguely avec des panneaux carrés, peints en noir et blanc, assemblés en collages, ainsi qu’à travers des documents historiques tels que des films originaux.

Une oeuvre figure au coeur de l’exposition : le « Magasin » (1958-1973) de Ben, où il vendait jadis, à Nice, des disques d’occasion. Ce magasin est devenu pendant les années 1960 le principal point de rencontre de la scène artistique et à la fois le lieu de maintes actions et expositions. La surprenante façade et l’aménagement inhabituel firent sensation. La conception du magasin, avec les nombreux objets et pancartes, va de pair avec le développement des panneaux écrits qui font la célébrité de Ben.
Cette « installation », qu’il n’a cessé de faire évoluer, a été rachetée en 1975, avec la façade d’origine et l’intérieur, par le Centre Pompidou et exposée lors de l’inauguration du musée. Cette oeuvre d’art globale, d’un genre exceptionnel, permet d’établir un rapport avec ses tout débuts artistiques en réunissant les grands champs thématiques qui marquent son travail jusqu’à aujourd’hui.


La première partie de l’exposition rétrospective, organisée par Andres Pardey, porte avant tout sur les débuts justement et montre une sélection d’oeuvres clés des années 1958 à 1978. Elle commence par des témoignages qui retracent la quête de Ben d’un langage formel abstrait bien à lui et mène à un ensemble de « vieilles écritures ». On y voit comment Ben se détourne de l’expérimentation purement formelle pour s’intéresser ensuite davantage aux contenus et à la signification. Tout l’éventail de son répertoire artistique est présenté dans cette partie de l’exposition : nombreuses actions de rue à partir des années 1960, grands moments de Fluxus à Nice, jusqu’aux prises de position de Ben en tant que théoricien et philosophe de l’art.

Tout cela s’inscrit dans une période relativement brève et constitue le fondement de son oeuvre ultérieure. Le statut de Ben, son rôle crucial dans les milieux de l’art à Nice ou au sein de Fluxus en Europe et dans le monde entier, l’importance de ses réseaux avec des artistes, philosophes, écrivains, collectionneurs et politiciens internationaux trouvent ici toute leur illustration. D’autres thèmes sont également abordés, comme la multimédialité, présentant ainsi cet artiste « connecté » avant l’heure avec son site web, sa propre radio web et ses newsletters,  petit extrait :

BALE
Courir après la gloire,
Ridicule j’ai honte
mais C’est ma vie
je ne dois pas le regretter

ou encore les immenses archives que Ben a rassemblées sur son travail et celui de ses amis artistes, mais il se défend d'être un archiviste, il regarde vers l'avenir et les jeunes artistes. La salle avec les oeuvres de l’« Introspection » montre comment l’art de Ben Vautier interroge également l’ego même de l’artiste.

Ben n’inspecte pas seulement le monde et ce qui se passe autour, mais porte un regard tout aussi critique sur lui-même en tant que personnage et sujet agissant. Le regard du dehors vers le dedans marque le passage vers la deuxième partie de l’exposition, qui introduit d’une part à l’oeuvre plus récente de Ben Vautier, mais d’autre part aussi au processus créatif que l’artiste applique à son propre travail. Il a conçu ainsi plus de 30 espaces qui, tous ensemble, constituent une sorte d’oeuvre d’art totale. À commencer par ses « petites idées » et jusqu’aux « nouvelles écritures », en passant par les« miroirs », la « photographie », le « temps » et la « mort », ainsi qu’un « Hommage à Tinguely », Ben nous propose un kaléidoscope de ses réalisations les plus actuelles.


A la fin du parcours, il répond à nos questions, dans son Centre  Mondial du questionnement

Evènements
Tous les jeudis le musée Tinguely invitera une personnalité du monde de l'art
dans ce centre qui répondra au public, aux questions que celui-ci voudra bien lui poser
Publication
À l’occasion de l’exposition paraît chez Kehrer Verlag un important catalogue, richement illustré, avec des textes par Ben Vautier, Margriet Schavemaker, Andres Pardey, Roland Wetzel et Alice Wilke, ainsi que de nombreux textes historiques d’auteurs comme Bernhard Blistène, Isidore Isou ou Ad Petersen (édition allemande et édition anglaise, 256 pages), prix à la boutique du musée : 52 CHF, ISBN: 978-3-86828-648-9 (D), 978-3-86828-649-6 (E).