Le 27 mai dernier, dans le cadre des Assises Internationales du Roman, Lídia Jorge était invitée à la bibliothèque de la Part-Dieu. Cette belle conférence – à laquelle je suis arrivée en retard, mea culpa – aura été l’occasion de me voir offrir un exemplaire dédicacé de La couverture du soldat – je suis une femme chanceuse :D – et de découvrir cette auteur portugaise, à nouveau à l’honneur ce soir dans l’émission diffusée sur Arte, L’Europe des écrivains – je salue dans la foulée Sandrine pour notre rendez-vous quasi hebdomadaire.
L’objet de la conférence du printemps dernier était Les mémorables, mais les quelques digressions de l’auteur sur La couverture du soldat m’incitait d’avantage à la lecture de ce précédent opus publié chez Métailié. Quelle joie de me le voir offrir de manière tout à fait impromptue quelques jours plus tard ! Largement inspiré de l’enfance de l’auteur, La couverture du soldat déroule le fil de la relation privilégiée nouée entre un oncle et sa nièce, qui s’avèreront très rapidement être un père et sa fille. Cette chronique familiale tient avant tout sa force de l’écriture de Lídia Jorge, des effets de va-et-vient, de répétitions et des retours en arrière, jouant de la première ou de la troisième personne selon le point de vue du narrateur, déroutant le lecteur pour mieux lui laisser apprécier la finesse des relations étroites et complexes entre les personnages. Un même épisode est rapporté à plusieurs reprises, à différentes étapes du roman, et chaque fois est l’occasion de préciser et d’éclairer autrement et plus complètement l’anecdote, de la relire à la lumière d’un élément nouvellement dévoilé dans les pages précédentes. La construction des phrases est extrêmement fluide et entrainante. Energique, le rythme pousse malgré lui le lecteur vers l’avant tout en le nourrissant d’un récit dense et détaillé sur un secret familial latent dont tous ont conscience mais dont personne ne parle ; deux histoires d’amour magnifiques et étouffées : criante et malvenue entre un homme et une femme, clandestine, poignante et silencieuse entre un père et sa fille. Et finalement, prégnantes et décisives pour l’ensemble de la famille, de la fratrie aux grand-parents.
Je vous livre l’incipit en espérant provoquer en vous le désir de lire la suite :
« Comme la nuit où Walter rendit visite à sa fille, ses pas s’arrêtent à nouveau sur le palier, il se déchausse contre le mur avec l’agilité d’une ombre, il s’apprête à gravir l’escalier et je ne peux l’en dissuader ni l’arrêter pour la simple raison que je désire qu’il atteigne vite la dernière marche, qu’il ouvre la porte sans frapper et franchisse le seuil étroit sans dire un mot. Et c’est ainsi que les choses se passèrent. Le temps de reconstituer ses gestes ne s’étaient pas écoulé que déjà il était au milieu de la pièce, ses chaussures à la main. Il pleuvait en cette lointaine nuit d’hiver sur la plaine de sable et le bruit de l’eau sur les tuiles nous protégeait des autres et du monde comme un rideau tiré qu’aucune force humaine n’aurait pu déchirer. Autrement, Walter ne serait pas monté et ne serait pas entré dans la chambre. »
Ces premières phrases tendues et fragiles me replongent dans le récit fébrile de cet amour filial interdit et m’invite à renouer avec lui, le remettre en lumière. La couverture du soldat est un livre à lire et relire pour le redécouvrir incessamment et en saisir toute la finesse.
La couverture du soldat – Lídia Jorge, traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Metailié, 2004, 223 p.
Première traduction française : Métailié, 1999
Première publication en portugais : 1998
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