Comment appréhender le rapport entre ce qui produit et ce qui est produit ? L'exposition Design ex machina ! met en lumière les machines et les outils des designers, qui ont souvent tendance à rester dans l'ombre de leurs productions. Elle se fait témoin d'un phénomène de plus en plus récurrent, celui de créateurs s'immisçant dans la conception de leurs outils de production mêmes.
Pourquoi et comment des designers se mettent-il à intervenir dans le processus de fabrication de leurs propres machines, que ce soit en les concevant entièrement ou en détournant des outils déjà existant ? C'est pour répondre à cette interrogation que Design ex machina! nous présente un large panel de productions, allant de pratiques amateurs à celles d'artisans, d'artistes et de designers.
Dans quel contexte ces designers ont-il été emmenés à modifier leur méthode de création ?
Le développement des outils numériques dans les années 2000 a permis la fabrication de machines et d'outils indépendants des lieux de productions classiques. L'explosion du web a également stimulé la création de communautés de geeks qui échangent leur savoir faire selon une philosophie du free software et de l'open source.
D'après celles-ci, chacun doit avoir la liberté d'utiliser un logiciel sans restriction, d'étudier et d'adapter son fonctionnement et de pouvoir le redistribuer dans sa version modifiée.
Ceci a permis l'apparition et le développement des Fab Labs ( fabrication laboratories), qui offrent à tous la possibilité de se servir de ces technologies usuellement réservées aux productions industrialisées. Héritiers des mouvement Do it Yourself des années 1970 et de celui des makers, ces services de proximité proposent une aide à la personne à petite échelle, que l'industrie ne peut se permettre de mettre en œuvre car trop peu rentable.
Selon l'utopie des Fab labs, tout le monde est créateur, puisqu'il peut s'aider des connaissances que partage avec lui la communauté ! Autrement dit, les Fab Labs nous proposent d'aller jeter nous même un coup d'œil sous le capot de l'imprimante, et, en cas de difficultés, d'aller chercher de l'huile de coude chez le voisin.
Le développement de ces structures tend à remettre en question la place du consommateur en l'incitant à intervenir sur les produits et technologies qui l'entourent, au lieu de les consommer passivement.
Cette proximité entre l'homme et la machine, entre le consommateur et le produit consommé conduit à une émancipation des individus dans un système de consommation de masse, tout en stimulant la créativité et les liens sociaux/humains.
Dans ce contexte il n'est donc pas étonnant de voir certains designer se mettre à créer leurs propres outils, ou à modifier les paramètres et usages traditionnels d'outils déjà existants. S'il existe une insatisfaction des designers pour les technologies existantes, quelles sont pour ceux-ci les autres avantages à s'inscrire dans une démarche d'autoproduction ?
Comme le dit le designer Pierrick Faure dans son mémoire Machine à faire, le désir d'un designer d'acquérir son propre panel de machines et d'outils -afin de maîtriser toutes les étapes de production- ne relève pas forcément d'un désir de possession, mais lui permet une proximité à la technique impliquant une plus grande liberté d'expérimentation.
Pouvoir explorer les possibilités de productions stimule l'imaginaire du créateur, le rapprochant ainsi de la matière qu'il travaille.
Refusant ainsi de se cantonner au seul dessin d'une forme, certains designers remettent en question le clivage classique concepteur/fabriquant, atelier/usine, créateur/exécuteur au profit d'un système dans lequel la " fabrique " du designer concentrerait en son sein tout les corps de métier et toutes les phases de production.
Ces designers élargissent ainsi leur champ de création, endossant tour à tour la casquette de l'ingénieur/hacker/mathématicien/informaticien/artisan...etc.
Comment définir dès lors leur activité dans sa spécificité ?
Pierrick Faure choisit de désigner ces designers hybrides par le nom de " designer-maker ". Héritier de la culture maker dans le champ du design, ils ancreraient leur pratique dans un idéal d'autoproduction. D'après lui, " Les designer-makers sont des designers qui interrogent leurs productions par le process et conceptualisent par l'outil. "
Ce modèle d'autoproduction permet au designer-maker de s'affranchir d'une logique productiviste instaurée par un système capitaliste recherchant avant tout la performance. C'est ainsi la place même du designer au cœur de ce système qui est mise en jeu.
En faisant la preuve que d'autres démarches de conception s'échappant des standards de performance productives ( mais à maîtrise technique égale avec les productions industrielles classique) sont possibles, il incite tout un chacun à s'affranchir des valeurs dominantes commerciales.
En manifestant son amour du processus dans son intégralité, c'est également le statut de l'objet produit que le designer remet en cause. Celui-ci il ne devient plus une fin en soi mais un témoin du processus, un résultat parmi d'autres d'une expérience de production alternative.
En définitive, exposer le lien entre machine et production est très pédagogique car, souvent obscur et mystérieux aux yeux des non-initiés, il fait travailler l'imaginaire et l'intelligence pratique de celui qui tente d'en comprendre le fonctionnement.
Plus qu'une simple méthode de travail parmi d'autre, la démarche réflexive de ces designers nous incite tous, créateurs ou " consommateurs ", à nous interroger sur notre place et notre champ d'action dans le système de production et de consommation de masse qui est le notre.
Période : du 29-09-2015 au 23-10-2015
Lieu : Galerie Michel Journiac - 47, rue des Bergers - 75015 Paris
Merci à Claire M pour sa première contribution et reportage sur BED