09 juin 2008
Saez [Varsovie-L'Alhambra-Paris]
Avec God Blesse, son second album, un double, Saez avait déjà fait très fort. Le suivant, Debbie, était moins réussi, il est d'ailleurs passé innaperçu. Avec Varsovie-L'Alhambra-Paris, un triple album cette fois, Saez réalise une pièce magnifique, d'une beauté incroyable. Ce mec a un talent fou et tant pis s'il nous donne envie de nous défenestrer, nous jeter d'un pont ou nous droguer de médicaments jusqu'à ce que mort s'en suive ...
Varsovie
"J'y peux rien, moi je n'ai que des larmes à leur dire" Saez va au devant des inévitables critiques qui lui reprocheront de proposer un album dépressif, dès le second titre de celui-ci, intitulé Ceux qui sont en laisse. Effectivement, cet album respire tout sauf la joie de vivre. Il semble très autobiographique, très personnel. Saez a vomi sur le papier toute sa souffrance et tous ses ressentiments. Mais contrairement à la phrase que je viens d'écrire, lui, il le fait avec une superbe plume, pleine de poésie. On pourrait le comparer à tous ces poétes maudits qui ont envahi la littérature. Je ne suis pas certain que la comparaison lui fera plaisir, je ne suis pas certain non plus qu'il lira ma critique de toute façon. Au fil de ses turpitudes, Saez voyage et regarde passer la vie. Dans Varsovie, qui est à la fois le titre du premier disque et le titre de la première chanson de ce premier disque, il renoue avec ses amours passés, à savoir le charme de l'Est. Déjà dans God Blesse, il avait écrit une magnifique chanson sur St Petersbourg. Ici, il décrit son arrivée à Varsovie, sa vision de la ville, des gens qui la peuple. C'est comme si nous y étions. Très descriptif et très beau. Il y a une véritable montée en puissance, plus l'émotion le (et nous) gagne. Précisons que ce titre, comme la plupart de l'album, est très dépouillé. Une simple guitare sèche et la voix étrange et belle de Saez. "Le jour se lève, sur la campagne (...)" Saez a quitté Paris pour oublier une déception amoureuse, visiblement très grande et très douloureuse. Il pense à elle, loin là-bas. Il part parfois dans des délires religieux ("Je suis le christ, juste un con planter là d'avoir trop aimer (...)"), la vodka aidant. Dans Que tout est noir, il tente une imitation plus que réussie de Barbara. Tant dans les textes que dans la voix. On assiste à une mise à nue de l'artiste qui ne cessera plus jusqu'à la fin du triple album. Dis-moi qui sont ces gens rappelle Brel. J'ai souvent penser que Saez était le nouveau Brel, cet album le confirme plus que jamais. Le rock adolescent a laissé place à la variété française haut-de-gamme. Ce premier disque est donc d'une tristesse qui fait froid dans le dos, suffit de lire les titres des chansons : Je suis perdu, Anéanti, On meurt de toi ... C'est beau mais c'est éprouvant. Et un peu long aussi.
L'Alhambra
Après les pleines enneigées de Pologne, le chanteur poursuit son voyage initiatique dans le rouge de l'Espagne et passe par Grenade et son Alhambra. Il ne va pas vraiment mieux mais le noir et le gris ont laissé entrer un peu de couleurs. Il compose d'abord la Chanson pour mon enterrement et y parle un peu de son enfance, du catéchisme inutile, de sa peur du noir "Il y aura des fleurs dressées en cathédrale, et des robes en couleurs, non pitié pas de noir (...)" ... Saez a toujours eu des tendances suicidaires. J'veux m'en aller sur son premier album, J'veux qu'on baise sur ma tombe, comme ultime provocation sur God Blesse. Ce garçon est quand même drôlement dérangé. C'est pour cela qu'il est si attachant. Il nous offre avec Je cherche encore une magnifique mélodie qui ne nous quitte plus et il dépose discrétement un petit brin d'espoir. Après avoir imaginé sa mort, il renaît peu à peu et se dit que peut-être l'amour reviendra. Les bars du port fait penser dans son thème à Amsterdam, l'inspiration est impossible à nier. La première chanson de l'album dont le rythme est entraînant. On s'imagine bien l'écouter une nuit alcoolisée au bord de l'eau. A l'Alhambra, le discours politique prend place. Un constat amer sur la société, espagnole ou française peu importe. La chance des espagnols, c'est qu'ils ont le flamenco. Quand on perd son amour, on devient fou. On écrit de très belles choses aussi, surtout quand on a du talent. Puis on les chante et on les crie. Saez hausse le ton et la guitare se fait plus séche et plus agressive. Le moment d'évoquer la misogynie assumée du chanteur. Les filles, que dis-je, les femmes, en prennent pour leur grade sur cette chanson. Elles n'avaient qu'à pas le quitter, après tout. "Faut pas leur en vouloir ce ne sont que des filles, et que bien trop souvent elles oublient d'être gentilles (...) Les filles c'est comme la mer, ça dépend de la lune, ça va et ça revient s'écraser sur la dune". C'est si joliment dit qu'on aimerait lui pardonner mais à plusieurs reprises, il parle des femmes comme de vulgaires chiennes, manipulatrices et infidèles. Et je n'aime pas ça. L'abattoir, On s'endort sur les braises et Tango terminent ce second disque sur des mélodies envoûtantes, légérement hispanisantes. La douleur est toujours vive et on se demande si le bout du tunnel est encore loin ... "Je sais que je suis glauque avec mes chansons tristes, mais j'emmerde le monde et le monde me le rend bien, c'est un peu comme si nous étions quittes".
Paris
Retour à la case départ, retour à Paris. Changement d'ambiance. Si la peine est toujours là, elle se fait plus modérée et laisse place à d'autres tourments. Le tourment d'une génération déçue, déchue. Il appelle à la rebellion dans Jeunesse lève-toi, premier single. Comme il l'a souvent fait d'ailleurs (Fils de France, sa chanson post-premier tour des présidentielles de 2oo2, par exemple). "Puis ce que c'en est sonné la mort du politique, l'heure est aux rêves, aux utopiques, pour faire nos ADN un peu plus équitables, pour faire de la poussière un peu plus que du sable dans ce triste pays, tu sais un jour où l'autre il faudra tuer leur père, faire entendre te voix ! Jeunesse lève-toi !" Un discours qui mériterait d'être davantage entendu ... On n'a pas la thune évoque sur fond de musique entraînante une jeunesse sans le sou, qui dort dehors mais qui garde espoir. S'en aller complête ce tableau revendicateur, qui mêle habilement amour, politique et espoir. Saez reprend du poil de la bête. Ce dernier disque est plus urbain et plus enjoué. Plus commercial au final. Ce n'est pas pour rien qu'il est également vendu seul. Il fait du bien après les deux premiers disques et il permet de déposer les boîtes de médicaments, le revolver ou le couteau, on ne se suicidera pas aujourd'hui. Les instruments sont plus nombreux même si la guitare domine toujours. Le cavalier sans tête fait penser à du Raphaël réussi (sachant que Raphaël s'est toujours pas mal inspiré de Saez !) et Des marées d'écume ressemble à du Goldmann classique. Putains vous m'aurez plu indique le retour de la misogynie latente : "Je commence à croire que les hommes qui ont pris d'autres hommes pour amour ont règlé la question, après tout dis-moi qu'est-ce qu'elles ont de plus que nous, si ce n'est cette force qui fait qu'elles vous oublient, cette horreur au fond d'elles (...) Je ne cautionne pas du tout, m'enfin ... Saez insére une intro en fin d'album, puis nous indique que Toi, tu dis que t'es bien sans moi, un petit bijou. En fin de compte, ça ne va toujours pas mieux.
Ce tryptique musical est renversant de beauté, il s'écoute en solitaire, dans le calme le plus complet, il se savoure. Saez offre un nu intégral, dont il est l'auteur unique de A à Z. Despéré, il nous touche au plus profond avec ses mots et sa poésie. Le témoignage d'un homme "à l'âme de l'enfant et la mémoire du vieux". Peut-être mon album préféré tant il m'a touché et me touche encore, tant il me hante.
On a pas la thune
On s'endort sur les braises
Toi tu dis que t'es bien sans moi
Tous les textes des chansons de l'album sont disponibles gratuitement sur ce lien : http://www.jemarchenu.com . Je vous encourage vivement à y jeter un oeil si vous aimez les mots.
Posté par LullabyBoy à 02:49 - Music Box - Commentaires [0] - Rétroliens [0] - Permalien [#]