Primaires, fin de partie

Publié le 08 juin 2008 par Scopes
Obama à Reno, Nevada (M. Whittaker, Reuters)

Les journalistes sont tristes; les analystes politiques désabusés, et les comiques en recherche d'inspiration: la campagne des primaires est officieusement terminée. Hillary s'est inclinée ce samedi à Washington, a endorsé Barack Obama et a promis de faire campagne aux côtés du nominé démocrate. Plus de lutte fratricide, plus phrases assassines, plus de candidats outragés. Un moment médiatique prend fin. Certains journalistes devront se reconvertir en attendant les conventions démocrates et républicaines.
Au final, Hillary n'aura pas démérité. Alternativement ex-future présidente, ex-future retraitée (ou sénatrice) et ex-future vice-présidente, elle a remporté neuf des seize dernières primaires, a rassemblé dix-huit millions de démocrates derrière son nom et a réussi, selon ses termes, à ébrécher le plus haut de tous les plafonds de verre, la présidence. On ne peut que louer sa combativité - et sa résilience. En changeant son discours, en se présentant comme la madone des classes populaires et l'enfant des Appalaches, elle a su revenir, puis se maintenir farouchement dans la course.
Mais elle a perdu là ou pourtant elle semblait à l'origine archi-favorite: dans les média et chez les cadres du parti démocrate, lassés par une bataille qui n'en finissait plus et qui risquait d'handicaper les chances du parti démocrate. Son équipe de campagne, une "dream team" rodées par les victoires de son mari, s'est rapidement fracturée selon des lignes de failles héritées de l'ère Clinton (Bill). Mark Penn -- démocrate ami des patrons -- et Harold Ickes -- héritier d'une gauche plus sociale -- ont résumé leur collaboration à des invectives ; leurs divisions ont rejailli sur l'à-peu-près tactique et théorique d'une équipe de campagne qui a balancé jusqu'en avril entre l'attaque et la défensive, entre l'espoir et l'expérience. Et la question demeure quant à savoir si Bill Clinton fut un atout (image de marque, expérience et réseau) ou un fardeau (trop bavard, prompt à la bourde et omniprésent). Enfin, les Clinton symbolisent à eux deux les années 1990s, années de prospérité et d'insouciance (pré-11 septembre) certes, mais aussi d'intenses fractures idéologiques et de dynasties familiales. Cette image de marque "années 1990" aurait pu être un atout contre un John McCain, qui, par sa constante évocation de la guerre du Vietnam, rappelle à qui veut l'entendre qu'il n'est plus tout jeune. Elle l'a desservie contre un Barack Obama qui incarne à la fois une relève générationnelle et un espoir (irrationnel ou non) de guérison des plaies -- toujours à vif -- issues de l'esclavage, de la ségrégation, et de l'immigration. Il a su présenter -- vendre diront les mauvaises langues -- son histoire personnelle comme l'aboutissement du rêve américain, ce rêve de succès et d'élévation par le travail si typiquement ancré dans la classe moyenne de ce pays d'immigrants : si le petit-fils d'un éleveur de chèvres kenyan peut devenir juriste, écrivain puis candidat démocrate à la présidence, pourquoi pas moi?
Ce message a été servi et porté par une organisation sans faille. Bon connaisseur des pratiques politiques et organisationnelles de Chicago, Barack Obama a quadrillé le pays, et est allé chercher littéralement les électeurs chez eux et les a accompagnés jusqu'à l'isoloir. Il a parcouru sans relâche l'Iowa, siège du premier caucus, sachant qu'un victoire dans cet Etat rural lui donnerait une crédibilité qui lui faisait jusqu'alors défaut. Il s'est appuyé sur l'enthousiasme des étudiants et des jeunes actifs, qui ont rempli en masse ses auditoriums et lui ont fourni une armée de volontaires sur-actifs. Enfin, il a mis en place une impressionnante machine à collecter de l'argent et des soutiens grâce à internet, levant des sommes d'argent sans précédent. Quand Hillary, à l'origine plutôt réticente aux ordinateurs, méfiante envers la blogosphère et comptant sur les soutiens financiers des caciques du parti démocrate, a pris conscience de son retard (c'est à dire en mars), il était déjà trop tard. Barack Obama avait son momentum, et assez de dollars pour le soutenir.
A venir maintenant, le duel que tout le monde attendait -- et les républicains les premiers -- depuis quelques mois : John McCain versus Barack Obama, deux vies, deux styles, deux générations, deux messages que presque tout oppose, mais deux candidats qui pourtant vont chercher à séduire le même électorat : les indépendants et ces désormais fameuses working class qu'Hillary avait su séduire.
En attendant les programmes définitifs, les joutes verbales ont commencé depuis quelques semaines, mais avant-hier seulement est apparue l'une ces rumeurs désobligeantes (smear campaign) si typiques de certains républicains depuis l'ère Karl Rove / George W. Bush: en résumant, Michelle Obama (sa femme) voudrait faire payer les blancs (f...) après l'élection de son mari à la Maison Blanche... De quoi rassurer nos Appalachiens apeurés devant tant de changements...
Cette élection promet d'être passionnante, en ce qu'elle risque de chambouler la géographie électorale américaine. Grosso modo, depuis l'ère Reagan, les régions du Nord-Est, des Grands Lac et la Californie votent démocrates. Le reste du pays soutient les républicains. Les élections de novembres pourraient bien apporter quelques surprises: certains états appalachiens (Virginie Occidentale, Kentucky voire Ohio) semblent prêts à tomber dans l'escarcelle républicaine. Mais en face, les démocrates ont des ambitions à la fois dans le grand Ouest où ils ré-émergent à la faveur des déconvenue de la Maison Bush et de l'implantation massive d'immigrants latinos -- traditionnellement démocrates --, et dans le Vieux Sud. L'ancienne Confédération est farouchement républicaine depuis que les démocrates ont abandonné leurs visées ségrégationnistes (Dixiecrats) et ont embrassé la lutte pour les droits civiques dans les années 1950-60. L'arrivée massive de retraités du Nord-Est (Floride, Texas), d'industries technologiques (Texas), et la présence d'un candidat noir pourrait modifier la donne, dans ces régions à forte population afro-américaine (Géorgie, Mississippi, Alabama...). Signe avant-coureur d'un vent nouveau: le mois dernier, un démocrate (Travis Childers) a défait son opposant (lors d'une élection partielle pour un siège à la Chambre des Représentants) dans un district traditionnellement très conservateur. Ce dernier avait essayé de le lier à Obama pour le discréditer. Il n'a fait qu'aigrir la minorité noire, qui s'est déplacée en masse aux urnes et a de ce fait contribué à sa défaite...
L'élection de novembre promet donc d'être passionnante, et InBlogWeTrust ne manquera pas de s'ajouter à la masse de ses commentateurs. L'été risquant d'être plutôt froid du côté politique, nos billets seront clairsemés. Nous reprendrons nos chroniques régulières à la fin du mois d'août, afin de couvrir les conventions démocrates et républicaines. En attendant, je vous souhaite à tous un excellent été, et vous remercie chaleureusement de votre fidélité.
Scopes