Fin de vacances à Rome, je rentre à Paris pour reprendre mon travail. À la Stazione Termini le train attend, sur le quai il y a des groupes de gens qui font leurs adieux. Un petit groupe de quatre ou trois hommes et deux femmes bloquent mon passage quand je veux monter. Tous en costume bleu, bien vêtus. Trop bien vêtus. Chapeaux, cravate, chemise blanche pour les hommes. En tout cas, ils ont l’air de paysans venus pour une fête de mariage? qui sait.
Bon, donc, avec ma grande valise je finis par me faufiler parmi eux et je monte. Trouve ma couchette en haut, m’installe. Pip pip, voilà le train qui part tout doucement.
Suis prête à dormir jusqu’à mon arrivée à Paris.
Deux heures du matin. Le train s’arrête, il fait très froid, on vous réveille brusquement car on est à la frontière (Ventimiglia?) pour le contrôle de papiers. Mon passeport et mon argent sont dans une pochette que j’avais mise dans mon sac. Mais hélas, la pochette n’est plus là, ni nulle part. Désespoir. Je cherche partout, est-ce qu’elle a glissé sur ma litière? Est-ce qu’elle est tombée par terre? Est-ce que, est-ce… Non, disparue !!! Un vrai cauchemar !!!
Les douaniers me font descendre et, faute d’aide avec une valise de plus en plus lourde, je marche péniblement sur la neige. A quelques mètres se trouve le poste frontière, ils me poussent dedans sans ménagements. Le train est déja reparti.
Donc, me voilà au Commissariat, partout des sans-papiers, tunesiens, sudaméricains, marocains, qui hurlent sans comprendre l’italien, des flics qui hurlent pour se faire comprendre. Et des fois, en ajoutent des coups. Engeulades.
Un des flics est assis derrière un bureau, le reste, nous patientons debout. Ça dure des heures. À ce moment-là voilà que je reçois un cours express et gratuit de gros mots en italien. Remerciements! Je profite aussi de cette leçon.
Mais, encore plus important, j’ai compris ce que veut dire l’Identité. Comment prouver qui on est? Je pouvais bien dire que j’étais Mme. Bovary ou n’importe qui, ça aurait été pareil. Je prie le Grand Flic de téléphoner à Rome, demander si mon passeport a été trouvé à la gare ou sur les voies. Sauf pour l’argent le reste ne devrait être utile à personne.
Ah, mais non, nous, on a pas le droit de passer des coups de fil à d’autres villes. Même dans l’Italie? Même…
Le temps passe, pas de café, pas de chaise, pas de réponse, pas d’eau, c’est déjà bien entrée la matinée et on est fatigué, ennervé, on maudit les italiens, les voleurs et les flics. On déteste tout le monde.
Dans mon cas, M. le Flic a pris une décision. Me virer vers la Division pour les Étrangers en faute à la Questura de Turin, un Commissariat important dans une ville importante. Mais un petit détail, il faut prendre un train local, et dans ce cas, je dois payer mon billet. C’est pas cher pour un trajet court mais, de quoi il parle?, Je n’ai pas d’argent sur moi, ils sont au courant, ils s’en fichent. Cela dit, ils m’escortent jusqu’à la petite gare ou le train pour Turin attend.
Saisie d’étonnement! Que faire? Je fouille dans mes poches. Rien. Et voilà q’un ange gardien apparaît sur le quai caché dans le corps d’un modeste flic. Il m’approche d’un air furtif, puis, en cachette, me glisse la monnaie dont j’avais besoin. Avec son doigt sur la bouche il me fait signe de me taire. Je faillis fondre en larmes. Pas question de lui rembourser, n’ayant rien sur moi pour le remercier. Sauf un simple briquet bon marché. Je le lui donne, les larmes coulent sur mon visage. Je fais la paix avec les italiens et quelques flics. Son visage est resté pour toujours dans mon coeur, tout comme son petit grand geste. Une nuit remplie de leçons, une fois de plus je comprends comment c’est inutile de mettre tout le monde dans le même sac.
Le train pour Turin démarre, nous sommes quatre détenus fatigués marchant vers qui sait quels nouveaux pépins.
par Ana Tejero