Pour reprendre le mot de Debord, il aura fallu deux générations à peine pour que la consommation du spectacle et le spectacle de la consommation se soient substitués à l'idée même de lutte en rendant obsolète toute notion d'art de vivre.
La disparate caste des médiocrates au pouvoir consolide un peu plus chaque jour son empire par l'emploi d'une langue simplifiée, binaire, proche du modèle informatique.
La novlangue, massivement charriée par les médias, rend incapable l'accès à la véritable pensée critique.
Les signifiants caractéristiques de la postmodernité (développement durable, digital, biodiversité, énergies renouvelables, commerce équitable, islamophobie, antisémitisme, homophobe, raciste, antiraciste, gauche, droite, mansplain, queer, bashing, crise, réalité augmentée, troller, flooder, bio, Charlie...) apparaissent comme autant de mots sans connecteur logique complexe, ce qui les rend péremptoires et inappropriés à l’art de la nuance, au paradoxe et à la contradiction qui seuls permettent de nommer et concevoir les formes de la lutte pour l'hégémonie, mais aussi pour porter un jugement sur la stratégie, la progression, la confusion des forces en présence.
Lutter aujourd’hui, c’est d'abord refuser la langue du spectacle, ne pas renoncer à vouloir décrire la complexité, renouer avec la dialectique que la novlangue et le spectacle voudraient éclipser.
L’action aujourd’hui ne consiste pas à prendre les armes et à descendre dans la rue, c'est toujours trop tôt ou trop tard.
L'action aujourd’hui c'est de faire passer des textes de main en main, pour raviver le style, affûter le goût, développer la sensibilité, affiner le jugement, pouvoir nommer les assauts, les contournements, les frappes, les retraites, les conquêtes, les victoires, les défaites...
Apprendre à parler c'est d'abord apprendre à lire et écrire, dessiner, composer, de la même manière qu'on aiguise une lame, on nettoie ses armes, on répète des enchaînements pieds-poings...