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Le jour où Nicolas Winding Refn m'a enseigné l'art du regard.... Interview Exclusive avec NWR pour Baz'art!!

Par Filou49 @blog_bazart
19 octobre 2015

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Ce n'est pas faire affront à Sylvie Da Rocha, la directrice du Cinéma La Fourmi, et dernière personnalité du 7ème art que j'ai eu l'occasion d'interviewer en face à face, que de dire que j'ai été un poil plus intimidé par celle qui arrivait juste après elle dans la liste de mes rencontres exceptionnelle que j'ai la chance de faire grace à ce blog à l'occasion du récent festival Lumière qui vient tout juste de s'achever.

Car quand même, apprendre à peine 24 heures avant le rendez vous, qu'on va pouvoir interviewer en face to face Nicolas Winding Refn- qu'on appellera comme tout le monde sous son acronyme NWR par souci de commodité-, qui n'est autre que le mythique réalisateur du film culte Drive (récompensé du Prix de la mise en scène à Cannes en 2011 quand même et aussi de "Bronson" ou du "Guerrier Silencieux", que l'interview va devoir se dérouler intégralement en anglais, et que le sujet va porter presque exclusivement sur le sexe  et la violence, a de quoi tout autant exciter que stresser légèrement votre humble serviteur, d'autant que dès qu'à peine installé devant lui, on sent à quel point le type en impose de son par sa prestance et son élégance à tout épreuve.

Bref, j'ai vite demandé secours à mon cher comparse Michel afin qu'il m'accompagne à cette rencontre prévue dans le bar du Village Lumière, car si Michel est  encore moins doué que moi en anglais, il est moins intimidable que je ne le suis ( il fallait voir quelques minutes avant cette interview, comment il est allé  aborder Vincent Macaigne alors que de mon coté, j'ai été incapable d'aligner deux mots en sa présence), et surtout  Michel est un peu plus au fait des films de la "sexploitation" qui était, je dois vous l'avouer, la thématique principale de cet entretien.. eh oui ce cher Michel a trainé ses bottes dans la 42ème rue dans sa jeunesse, vous voyez quel genre de personnage louche je dois cotoyer régulièrement pour le bien de ce blog..

Mais abandonns les moeurs douteuses de Michel et revenons plutôt à nos moutons et la présence du génial NWR Le cinéaste danois,  grand amateur de films de série B devant l'éternel, était en effet  présent à Lyon en grande partie pour présenter L'art du regard, un livre collector, qui sera publié le 24 octobre prochain en France.

Cet ouvrage regroupe une grande partie d'affiches de films d’exploitation, issues de sa collection personnelle, et c'est donc sur ce sujet que se portait notre entretien (en un quart d'heure il valait mieux cibler son sujet, difficile d'aborder toute sa filmographie).

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Pour ceux qui ne connaissent pas bien le genre (je n'en parle pas forcément tous les jours sur ce blog) , il faut savoir que les films d'exploitation reposaient le plus souvent sur un scénario basé sur les interdits et les tabous de la société (le sexe, la violence, la drogue, la nudité, les monstres).., et qu'ils sont devenus populaires d'abord dans les années 1930  puis à nouveau dans les années 1960 avec l'affaiblissement des tabous cinématographiques aux États-Unis, au Canada et en Europe.

Mais  en réalité, ce n'est vers le début des années 1990 que le regard des gens sur ce film a commencé à évoluer, et que grâce notamment à des cinéastes comme Tarantino, ce genre a commencé à susciter l'attention des cinéphiles.

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Le cheminement de ces affiches est sensiblement le même que pour les films en question : à l’origine, elles avaient une visée purement commerciale, celle d’attirer et d’émoustiller le chaland perdu au fond de la 42ème rue, et commencent peu à peu, à virer dans une dimension autre, et ce livre en est le bel aboutissement. A l’origine du projet éditorial, NWR a racheté cette collection d’un ami journaliste qui s'était procuré les "one-sheets" (comme on appelle communément ces petits formats)  en les récupérant des ruelles de ce Time Square effrayant qui n’existe plus aujourd’hui.

Et l'on sent immédiatement, en feuilletant les premières pages de ce très beau livre- qui n’est certes pas accessible à toutes les bourses-, que le projet du cinéaste de "Drive" obéit à une visée forcément respectable, celle de modifier l’orientation de ces affiches en leur conférant une dimension plus artistique…

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En effet, le livre a répondu à un investissement de la part du réalisateur  qui n’est pas que financier, même si celui existe comme il le dira à la toute fin de notre discussion.

 Des plus de 1000 affiches qui constituent sa  collection, NWR n’a voulu retenir que les affiches les plus portées sur le sexe et la violence, autrement dit celles qui répondaient à "une frustration immature s’adressant à une pulsion spécifique", et ce, afin de mieux faire sonder cette question des promesses que ces affiches laissaient dans l’imaginaire des gens.

 Le résultat donne un livre extrêmement riche et dense, aussi bien par l’impact que produisent ces visuels que par l'immense travail d'écriture élaboré par  le journaliste Alan Jones, qui est à l’origine de l'aventure, comment NWR va nous l’expliquer  dans cette interview courte mais dense et forcément passionnante, comme l’est évidemment cette personnalité phare du cinéma mondial.

Et sinon, concernant notre maitrise plus qu'approximative de la langue de Shakespeare, saluons la providence (ou plutôt je pense l'institut Lumière) qu'une âme généreuse, un peu venue de nulle part, nous a proposé au moment de nous installer, de jouer les traducteurs, car ainsi, nous avons pu largement apprécié ce que Monsieur Winding Refn avait à nous dire concernant ce livre :

  

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 Baz'art :  Pour notre toute  première question, on aimerait tenter de  mieux comprendre la genèse de ce formidable et si ambitieux projet. Comment est né au départ ce désir de collectionner les affiches de films issus de la sexploitation? Était-ce avec une visée artistique ou plutôt fétichiste?

 Nicolas Winding Refn  : En fait, je ne me considère pas vraiment, même pas du tout d'ailleurs,  comme un vrai collectionneur, contrairement à certains de mon entourage que je connais.  Au départ de ce projet, il y a cette collection d’affiches que j’ai racheté à un ami (le journaliste et biographe Jimmy McDonough)  qui s’était procuré tout un tas de petits formats d’affiches de coins mal famés de Times Square.

 Lorsque j’ai récupéré sa collection de près de 1000 posters, j’avoue que je me suis demandé ce que je pourrais en faire, car je n'avais pas justement envie de les conserver comme un collectionneur que je ne suis pas.

Concrètement,  j’avais le choix entre deux solutions : soit les descendre à la cave, soit en faire un livre, et finalement, sur les conseils d’un autre ami journaliste ,Allan Jones, qui a d'ailleurs écrit les textes du livre, j’ai choisi d’en faire un livre, celui que vous avez entre les mains !!

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Baz'art : Vous avez dit dans une  précédente interview : " je ne porte aucun intérêt à la perfection. Je suis intéressé par la perfection". Est-ce que votre fascination pour ces affiches de film de série Z peut être directement rattachée à cette conception de l'art que vous assumez ainsi?

 Disons que le lien entre ma vision de l’art et ces affiches est moins direct que ce que vous affirmez, même si il y a forcément un rapport entre les deux.

 A vrai dire, ce qui m’intéressait vraiment dans ces affiches, et j’ai vraiment commencé à y réfléchir au moment de la genèse du livre, c’est qu’à l’époque où ces affiches ont été élaborées (dans les années 50-60), la censure était très forte, et qu’il fallait trouver des moyens pour la contourner.  Ainsi, les créateurs de ces affiches devaient se montrer particulièrement inventifs pour suggérer au spectateur ce qu’il y a derrière l’affiche.

 Et c’est cela qui peut renvoyer en quelques sorte à ma vision du cinéma : moi, ce qui m’intéresse avant tout lorsque je fais des films , ce n’est pas forcément ce qu’on l'y voit mais avant tout ce qu’on ne voit pas, à savoir tous les fantasmes et les représentations que le spectateur peut imaginer avant de le voir …

 Baz'art :  Justement, à ce propos,  en parcourant ce livre, on a vraiment le sentiment que le plus important dans ces affiches est contenu dans  les promesses qu’elles laissaient dans l’imaginaire du spectateur, plus que dans le film lui-même, qui va à coté, être forcément décevant. Est-ce que ce vous partagez également cette vision ?

Nicolas Winding Refn :  Oui, je partage totalement cette conception là : pour moi, le plus intéressant dans ces affiches résidait en premier lieu dans ce qu’elles laissent imaginer au spectateur, et c’est ce pouvoir sur l’imaginaire qui est incontestablement bien plus fort que le film en lui-même, c’est vraiment cette direction  vers laquelle on voulu aller à travers cet ouvrage.

 

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Baz'art : Si on rentre plus dans le détail des films qui figurent dans ce livre, on a été très surpris d’y trouver, au détour d’une page, le Répulsion de Polanski, le seul film qu’on a vu du lot, et qui pour nous, français n’a rien du tout d’une série Z comme peuvent l’être les autres, avec une affiche qui ne ressemble en rien à l’affiche originale. Comment expliquer la présence de ce film et cette grosse différence dans la perception de ce film ?

 Nicolas Winding Refn :  Je dois vous avouer que pour moi aussi, "Répulsion", c’est quasiment le seul film que j’ai vu des 316 affiches contenus dans le livre ( sourire)…

En fait le collectionneur qui m’a vendu ces affiches a bien insisté sur le caractère illégal de ces affiches dû au contexte si particulier de ces années 60…Les personnes qui ont conçu cette affiche  de "Répulsion", pour citer cet exemple, n’ont pas voulu se calquer sur la promotion officielle du film qui existait en France notamment.

 Et il faut savoir que  les propriétaires des cinéma s’échangeaient entre eux les affiches des films, tant et si bien qu’on ne savait jamais à l’avance ce qui allait se passer à tel ou tel endroit …c’est vraiment ce caractère illicite de ces films et de ces salles,  que je voulais qu'il se dégage de ce projet, et que ce dernier nous entraine dans une sorte de ballade à travers cette feu 42ème rue…

 Baz'art :   En  élaborant ce livre qui réhabilite les films d'exploitation,  est ce qu’on pourrait rapprocher votre démarche  de celle d'un Quentin Tarantino ou d'un Robert Rodriguez lorsqu'ils rendent hommage dans leurs films à ceux Grindhouse, ou excepté le support, voyez vous une différence radicale dans l'esprit de votre projet et le leur?

 Nicolas Winding Refn  :   En fait, je n’ai pas vraiment voulu «  rendre hommage » à ce cinéma là pour la simple raison, que contrairement à Tarantino ou Rodriguez, je n’ai vu aucun de ces films en question.

 Non moi, ma démarche me semble un peu différente car ce qui me plaisait le plus dans ce projet, c’était d'essayer de fabriquer une sorte de "machine à remonter le temps" vers un monde qui n’existe plus,  réaliser  une sorte de travelling arrière, pour employer un terme de cinéma, vers cette période où l’on fabriquait ce genre de films qui n’existent absolument plus au jour d’aujourd’hui…

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 Baz'art : Justement, à propos de cette mélancolie sur cette période qui n’existe plus, comment préféreriez-vous dans l'absolu que le lecteur reçoive ce livre?   Qu’il le lise avec un regard plutôt  amusé, avec un  second degrés devant le décalage de certaines affiches ou au contraire, en portant un regard plus nostalgique sur cette période révolue ?

 Nicolas Winding Refn  :  En fait, cela, je le laisse complètement au désir du lecteur, dont la perception sera forcément différente en fonction de son approche et de sa personnalité,  un peu comme les réactions divergent totalement d'un spectateur à un autre pour tous ceux qui regardent mes films.

 En découvrant "l'art du regard", le lecteur pourrait être tout aussi bien amusé par le texte, plutôt ironique, alors qu'un autre pourrait de son côté être fasciné par la puissance visuelle de certains visuels,  tandis que d'autres encore pourraient même se rappeler grâce à ce livre avoir vu ces films qui étaient sortis de leurs mémoires..

Ce projet a justement cette qualité de provoquer des réactions totalement différentes, je n’ai donc aucune volonté et aucun intérêt de guider les lecteurs dans telle ou telle direction…

  Baz'art : Une grande majorité de ces affiches sont assez sexuellement explicites et sur le site consacré au livre, on peut voir d’ailleurs une  très amusante vidéo que vous faites à l'attention du public français en leur disant qu'ils devraient aimer votre livre car « c’est bien connu, les français aiment plus le sexe que les américains ». A ce propos, comment votre livre a t-il été perçu aux USA, et est ce que comme vous le proclamiez,  le puritanisme américain ambiant a été un frein au succès de ce livre?

Nicolas Winding Refn  : En fait, je reviens d’une virée à Austin au Texas, il y a tout juste deux semaines pour présenter le livre lors du Fantastic Fest (NDLR : un immense festival consacré à l’horreur et à la SF), et  à la suite de cette présentation, le livre a été mis en vente il y a une  semaine environ aux USA, nous l’avons tiré à 2500 exemplaires et on peut dire au jour d'aujourd'hui qu’il a été vendu en intégralité.

 Bref, on peut donc arriver à la conclusion que, contrairement à ce que je dis dans cette vidéo à laquelle vous faites allusion, les américains aiment le sexe…tout autant que les français (rires)!!

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Baz'art : Dans la préface du livre, vous rapprochez la démarche qui a guidé la conception du livre à celle d'un film, en quoi ces projets se rassemblent t -ils donc?

Nicolas Winding Refn :  En fait,  dans  les deux cas,  il s'agit d' élaborer un univers singulier et tenter de faire rentrer le spectateur et/ou le lecteur dedans, donc c'est en cela que j'aurais tendance à comparer ces deux approches.

  En effet, afin de  sélectionner les affiches et l'ordre dans lequel elles apparaîtraient, j'ai opté pour une approche éditoriale similaire à celle avec laquelle je conçois mes longs métrages : chaque image doit représenter une scène,  et j'aimerais ainsi que le spectateur puisse ainsi feuilleter le livre jusqu'au bout afin qu'il le regarde comme son propre film intérieur, celui qu'il s'imagine dans sa tête grâce à ces visuels.

 Baz'art :  Nous aurions une  dernière question concernant le public visé par cette publication. En effet, cet Art du regard,  de par sa haute   qualité d'ensemble, son prix élevé et son tirage limité est clairement à destination d'une petite frange de la population, à savoir les cinéphiles ou les amateurs d'art. Du coup, même si la visée de ces affiches a évolué, elle reste de nouveau marginalisée. Pourquoi n'avoir ainsi pas tenté  de rendre cet ouvrage accessible au plus grand nombre pour démocratiser ce pan de la culture américaine?

Nicolas Winding Refn :  Ce qu'il faut savoir, c'est que lorsque ces films ont été montrés, on les considérait comme étant trash, glauques, on peut même dire que certains les voyaient comme de la vraie m... et j’ai trouvé cela plus intéressant de leur redonner une sorte de légitimité avec un livre qu’on peut ranger dans la catégorie des livres d’art, de par les paramètres que vous avez relevé.

Concernant son prix que vous trouvez élevé, il faut également avoir en tête que la conception de l'ouvrage m’a couté pas moins de 100 000 dollars pris exclusivement sur mes deniers personnels :  j’ai tout financé de A à Z pour que ce livre puisse se faire, donc il faut bien qu'il y ait un retour sur cet investissement, et ce d'autant plus, que comparé à d’autres livres d’art, je ne trouve pas son prix si exorbitant que cela….

Donc dans mon esprit, je n’ai pas du tout essayé de réserver ce livre à une petite partie de la population, mais bien de tenter de faire changer le regard (d’où le titre de mon livre) de toutes les personnes sur ces œuvres, qui jadis infâmes et viles, possèdent désormais une dimension artistique et adulées par le plus de gens possible, du moins je l'espère..

Baz'art : Eh bien on peut dire cher Nicolas que vous avez amplement réussi votre pari avec ce livre si original et ambitieux... Merci énormément pour ce moment passé avec vous et on souhaite une très belle carrière littéraire à cet Art du Regard!!


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