J’attendais assise sur une petite chaise avec mon sac à mains sur les genoux. Mon genou droit tremblait sans que je puisse le contrôler comme il le faisait dans les moments de grand stress. Depuis que j’étais enfant, et ce bien que beaucoup d’eau ait coulé sous les ponts depuis. On m’avait débarrassée à mon arrivée de mon imperméable et je ne pouvais même pas cacher ce ridicule tic en m’en recouvrant. J’étais ainsi parfaitement mal à l’aise et l’ambiance glacée en ors et marbre de ce hall n’avait rien pour me rassurer. Que m’avait-il donc pris de répondre à cette annonce pour un entretien d’embauche, moi qui ne vais habituellement à cette page que pour la grille de sudoku ? J’étais alors tombée sur cette offre d’emploi qui remplissait une pleine demi-page et en couleurs, un format bien inhabituel pour notre petit journal régional. Cette annonce avait attisé ma curiosité tout en m’irritant par son caractère très intrusif.
« Cherchons femme d’âge mûr pour poste de maitresse de maison. Veuve ou célibataire sans enfants à charge. Compétences domestiques et culinaires indispensables. Culture et bonne éducation requises de même qu’une grande moralité. Beauté non indispensable mais un physique avenant serait un plus apprécié. » Suivait le numéro de l’annonce sans autre renseignement.
J’avais été intriguée mais c’est Ginette, ma meilleure amie, qui avait relancé le sujet lors de notre partie de dames quotidienne, me
demandant avec un petit sourire en coin si j’avais lu le journal ce matin et vu l’annonce. « Tu corresponds parfaitement au profil et cela mettrait un peu de beurre à ta pension de
réversion, lance-toi et raconte moi tout, la vie est tellement ennuyeuse ». J’avais des travaux de d’électricité à faire, un ravalement de façade avait été voté par la copropriété et je
n’avais pas un sou devant moi. J’avais besoin d’argent, c’était certain, mais pas à n’importe quel prix. Je décidai cependant de répondre à l’annonce qui après un premier entretien
avec prise de photos réalisé chez le notaire du bourg principal m’avait conduite ici. Pour passer « l’entretien de qualification » selon les termes de Maitre Cachotin.
Au manoir, dans le hall duquel j’attendais depuis quelques minutes avec une appréhension croissante.
L’homme qui m’avait ouvert et que je pensais être le majordome (c’est en tout cas comme cela que cela s’appelait dans les téléfilms que j’avais pu voir) revint alors vers moi en me disant de le suivre, que le comte était prêt à me recevoir. Nous montâmes à l’étage et il me conduisit dans une grande bibliothèque aux murs garnis de rayonnages, claire et lumineuse, qui sentait bon le tabac à pipe. Au centre de la pièce trônait un magnifique bureau ouvragé où était assis un homme aux cheveux blancs qui se leva à mon arrivée. Grand et altier, chaussé de petites lunettes d’écaille mais souriant et avenant, il vint à ma rencontre pour m’accueillir.
« Ma chère, vous êtes donc venue ? »
Et comme je ne répondais pas, surprise par cet accueil et plutôt mal à l’aise, il enchaina
« C’est donc vous que mes petits-enfants voudraient que j’épouse ? »
Rouge de confusion et très embarrassée par sa méprise, je lui répondais alors que j’étais simplement là pour l’entretien d’embauche de maitresse de maison ce à quoi il éclata d’un grand rire sonore en me prenant la main.
« Ma chère, je crois que nous sommes vous et moi victimes d’une drôle de machination montée par mes farceurs de petits enfants. Mais puisque vous êtes là, pourquoi ne ferions nous pas connaissance ? »
Quelques mois plus tard, je signai mon CDI avec le comte de Marigny en l’épousant…
[Texte écrit pour les défis du samedi sur le thème de l'entretien d'embauche]