Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 161

Publié le 18 octobre 2015 par Antropologia

Profession honnie

O. évite le bureau de tabac au pied de son immeuble et préfère se déplacer. Il est exact que le gérant est particulièrement désagréable. Ceci est amplifié pour O. par le fait d’avoir à subir aussi des relations de voisinage. Nous nous accordons également sur le caractère pédant d’un autre buraliste au bronzage surfait (nous l’imaginons paressant une semaine par mois dans quelque île exotique). Une autre vieille dame acariâtre ouvre et ferme son commerce, selon la légende qui court dans le quartier, quand elle veut, ce qui s’accorde peut-être plutôt bien avec la presse anarchiste qu’elle met en avant dans sa boutique.

A., connue plutôt pour ses propos mesurés, sort en vociférant d’un autre tabac, pestant après cette « porte de prison » et poursuit sur le thème « elle fait du fric sur notre dos et je suis sûre qu’elle ne fume même pas celle-là » !

Pourquoi les buralistes cristallisent-ils tant de haine ou suscitent-ils tant de discours spontanés ? Personne n’évoque son boulanger, son pharmacien… Pourquoi naviguons-nous ainsi d’un tabac à l’autre ?

J’ai peut-être trouvé la perle rare qui, quoique m’obligeant à un léger détour, est en passe de me fidéliser. Hier, il servait une vieille dame accompagnée d’une amie restée en retrait. Elle voulait des tickets de tram, désolé il lui annonça ne plus en avoir mais, comme pour se rattraper, il lui demanda si elle avait un tarif pour personnes â… Il s’interrompit pour ne pas la vexer (quelle tête avait-elle faite ?) et formula différemment sa question : « Avez-vous un tarif réduit ? » Il fit alors une seconde gaffe, la vieille femme lui signifiant vertement qu’elle avait de bons revenus. Le pauvre en fut tétanisé d’embarras. Elle n’attendit pas d’être sortie pour manifester sa colère à son amie.

Il m’offrit alors un briquet…

Colette Milhé