C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale que Jacques Prévert et Willy Ronis se rencontrent pour la première fois. Devant l’avancée inexorable de l’armée allemande, qui pénètre dans Paris le 14 juin 1940, Prévert, accompagné de Brassaï et de Kosma, figure parmi les premiers à participer à l’exode massif de la population : il quitte la capitale dès juin 1940 pour rejoindre Nice, puis s’installe vingt-cinq kilomètres plus loin, à Tourrettes-sur-Loup. C’est à Nice également que se réfugie l’année suivante Willy Ronis, fuyant la zone occupée pour échapper aux mesures anti-juives. Prévert et Ronis ne s’étaient jusque-là jamais fréquentés, mais il est probable que Prévert avait eu l’occasion de voir en 1935 certaines photographies de Ronis (notamment un photomontage intitulé Le Rêve du clochard) au cours des deux expositions organisées par l’A.E.A.R. : Documents de la vie sociale et La photo qui accuse . Ami depuis les années trente avec Eli Lotar, qu’il avait rencontré à l’A.E.A.R., Ronis avait sans doute lui aussi déjà entendu parler de Prévert ; il connaissait d’ailleurs à l’époque certains de ses films, mais ignorait presque tout de ses écrits : « j’avais lu deux ou trois poèmes ». Ronis a raconté les circonstances de sa rencontre avec Jacques Prévert :
« J’ai connu les deux frères Prévert dans le Midi, à Nice et à Tourettes-sur-Loup. Je me suis joint à eux quand j’ai quitté Paris en 41 pour raisons raciales. Nous avions une amie commune. Nos parents se connaissaient, on jouaient ensemble quand on était enfants, elle, son frère et moi. Je l’ai retrouvée à Nice, elle m’a dit : « je travaille avec Marcel Duhamel, qui vient de monter une pièce adaptée des Hauts de Hurlevent. » Elle m’a proposé de m’occuper de l’implantation des décors et de leur entretien. La pièce devait tourner en zone libre. Marcel Duhamel était très ami avec Jacques Prévert et Jacques Prévert venait de Tourettes à Nice pour voir comment avançait la pièce. »
Prévert et Ronis sympathisent rapidement et Ronis, qui a officiellement cessé d’exercer son métier («Comme Juif, je ne pouvais pas être photographe. Il fallait demander des autorisations aux Allemands pour se servir d'un appareil dehors. Et il n'était pas question de se jeter dans la gueule du loup » ) réalise néanmoins quelques portraits, aujourd’hui célèbres, de ses nouveaux amis et fait « un peu de résistance à travers [son] activité de photographe » . A l’époque, les deux hommes sont « très liés » et lorsque Ronis se fait envoyer de Paris une pochette contenant un choix de ses photographies, il les montre aussitôt à Prévert. Après la Libération, Prévert et Ronis se retrouvent à Paris ; Ronis assiste notamment à la préparation du ballet Le Rendez-vous et photographie Brassaï et Prévert dans les décors réalisés par Brassaï. Il continue par ailleurs de fréquenter Eli Lotar, dont il est resté très proche :
« Nous nous sommes revus souvent quand il a travaillé sur le film Aubervilliers ; il venait chez nous – je dis chez nous parce que j’avais épousé Marie-Anne en 1947 – il venait chez nous Boulevard Richard Lenoir déjeuner au moins une fois par semaine quand il faisait le film avec Prévert. »
Durant l’été 1945, Ronis retourne passer quelques jours dans le Midi ; il a repris son activité de photographe et revient à Paris avec plusieurs pellicules qu’il développe dans de mauvaises conditions, ce qui produit un résultat inattendu, qu’il présente bientôt à Prévert...