Par Frédérique Roussel
La coopérative de Montreuil pourrait s’arrêter en juin en raison de coupes budgétaires.
Un jour, il y a bientôt vingt ans, Armand Gatti a fixé la Parole errante (1), sa coopérative de création, à Montreuil. Un atterrissage presque logique : le compagnonnage avec la ville de Seine-Saint-Denis avait démarré en 1987 avec une création au théâtre Berthelot et une exposition. C’est ainsi qu’est née la Maison de l’arbre, rue François-Debergue, réceptacle en dur de l’aventure itinérante et engagée du metteur en scène. En mai 2016, l’histoire de la compagnie doit se clore. Mais une baisse de subventions menace de raccourcir les derniers instants de son fonctionnement.Méliès.A la fin des années 90, après l’invitation montreuilloise, Gatti travaille à la fois à Marseille, Strasbourg et Avignon, où il crée, en 1991, avec des jeunes Ces Empereurs aux ombrelles trouées (2). Le département de la Seine-Saint-Denis éprouve le souhait de voir cette figure hors normes s’implanter chez lui. «Nous nous mettons à chercher des lieux, raconte Jean-Jacques Hocquard, administrateur de la compagnie. Et, en décembre 1995, on nous propose un espace qui servait de stockage et nécessitait d’être rénové.» La compagnie récupère ce hangar en plein centre, construit sur le lieu même des studios de Méliès, avec l’autorisation du conseil général d’y faire des travaux. Un dossier est monté, avec demande de subventions aux collectivités locales pour une facture globale de 1,4 million d’euros ; la compagnie y contribuera pour 20%.La Maison de l’arbre sera finalement inaugurée en 2008 avec une grande exposition sur Mai 68. Depuis, ce lieu à part aux allures de hangar alternatif exerce une activité tous azimuts. Cette année, il doit ainsi accueillir 18 compagnies en répétition, intervenir dans 17 établissements scolaires d’Ile-de-France, organiser une exposition, accompagner des festivals de danse ou de musique. C’est aussi un centre de documentation de toute l’aventure de Gatti, soixante ans d’une carrière prolixe et militante, de manuscrits, affiches, vidéos, sons. Ces archives sont en train d’être classées pour être données progressivement à la Bibliothèque nationale de France. Or ça coince côté financier.La coopérative est subventionnée à hauteur de 330 000 euros par le ministère de la Culture depuis trente ans. «La subvention de la Drac [direction régionale des affaires culturelles, ndlr] pour notre compagnie est la même qu’on ait un lieu ou pas. Or la Maison de l’arbre coûte en fonctionnement.» De plus, la création chez Gatti n’obéit pas à une vision marchande. Ses pièces sont créées pendant deux ou trois mois pour n’être «jouées» qu’une fois, toujours gratuitement. «On ne fait aucune économie», souligne l’administrateur.Bail.En 2011, la Parole errante a signé un nouveau bail avec le conseil général, avec une échéance, définitive celle-là, en mai 2016. Le département va alors récupérer le lieu pour confier sa gestion à deux autres structures. Le pavillon serait laissé à «Dante», 81 ans, jusqu’à sa disparition. En parallèle, une convention de quatre ans est signée avec la Drac. «Nous souhaitions une nouvelle convention de deux ans, jusqu’en mai 2016, avec le budget que nous avions eu pendant des années : 330 000 euros,poursuit Jean-Jacques Hocquard. Mais le 15 décembre, la Drac a dit accorder une enveloppe de 160 000 euros pour 2015 et 40 000 pour 2016.» Tout au plus de quoi tenir jusqu’en juin. La Drac, sollicitée par Libération, n’a pas donné suite. «Nous comprenons les contraintes budgétaires, d’où notre volonté de tout finir en un an, mais dans des conditions honorables, dit Hocquard. "Liquidation" est-il le mot qui ponctuera l’aventure de la Parole errante ?»
(1) www.la-parole-errante.org.(2) Aux éditions l’Entretemps.Frédérique Roussel