Le 3 octobre, Lifetime aux États-Unis et au Canada nous a offert le téléfilm The Unauthorized Beverly Hills 90210 Story, nous offrant un portrait de l’envers du décor des quatre premières saisons de la série culte pour adolescents et la semaine suivante, la même chaîne nous arrivait avec le même concept, cette fois à propos de Melrose Place, retraçant le parcours des comédiens et de la production pour les saisons 1 à 3. Malgré quelques recréations bas de gamme et le côté forcément caricatural de certains personnages, d’un point de vue voyeur, ces deux téléfilms s’avèrent être un véritable plaisir coupable. Et pour quiconque d’une certaine génération ayant grandi en regardant ces téléséries d’une longévité à faire pâlir les producteurs d’aujourd’hui, la nostalgie est définitivement au rendez-vous.
Beaucoup de monde pour peu de temps
The Unauthorized Beverly Hills 90210, démarre en 1990 alors que le célébrissime producteur Aaron Spelling est en quête d’un nouveau hit depuis que le soap Dynastie s’est clos l’année précédente. Justement, il a entre-temps fait la rencontre Darren Star, un scénariste prometteur qui vient tout juste de rédiger des scripts concernant une bande d’adolescents vivant dans le quartier huppé de Beverly Hills. Le casting se met en branle, et après des débuts houleux, connaît très tôt son heure de gloire, notamment grâce au hasard : durant la saison 1990, les autres réseaux diffusent en boucle des images de la guerre du Golfe tandis que Beverly Hills 90210 est la seule fiction au rendez-vous en heure de grande écoute. Une seule ombre au tableau : Shannen Doherty (Samantha Munro) dont les frasques et les retards répétés viennent rendre la vie sur le plateau insupportable. Le téléfilm s’achève sur son renvoi, après que tous les autres acteurs se soient ligués et aient exigé son départ.
Du côté de The Unauthorized Melrose Place Story, on retrouve le même duo Spelling/Star qui s’intéresse désormais à des jeunes dans la vingtaine, issus de différents milieux et cherchant à faire leur place dans le monde. Mais cette prémisse a tôt fait d’ennuyer l’audience tout en provoquant l’ire des critiques et deux facteurs sauveront la série : l’arrivée d’Heather Locklear dans le rôle d’Amanda (Ciara Hanna) et un retournement des intrigues à 180 degrés, transformant la série en véritable soap. Si le public en redemande, ce sont les acteurs qui se montrent insatisfaits : certains voudraient plus de place au soleil alors que d’autres auraient préféré utiliser leur tribune pour faire entendre une certaine critique la société américaine… en vain.
Les téléfilms (si l’on exclue ceux d’HBO) ont toujours été snobé par une majorité de téléspectateurs, notamment pour leurs faibles budgets et des thèmes à l’eau de rose et dans un certain sens, ces deux Unauthorized Story de Lifetime viennent confirmer cette impression. On est d’abord déçu de la reconstitution des décors : l’intérieur de la maison des Walsh, pas plus que la cour extérieure de l’établissement sur l’avenue Melrose avec avec sa minuscule piscine ne sont très crédibles. La production semble aussi avoir manqué de rigueur dans son effort d’authenticité, notamment au niveau des costumes. C’est qu’à cette l’époque, ces deux séries nous ont offert des scènes marquantes, notamment celle du bal des finissants dans 90 210 alors que dans le téléfilm, les costumes n’étaient pas les mêmes. En effet, les robes que portaient nos actrices étaient partie prenante du scénario puisque Donna (Abby Ross) arborait une large robe à crinoline (ce qui l’empêchait de s’asseoir) et que Brenda et Kelly (Abbie Cobb) avaient par hasard choisi la même robe (photo ci-bas).
L’autre inconvénient, autant pour la reconstitution de 90 210 que pour Melrose Place, c’est le manque de temps. 1 h 35 (sans les nombreuses publicités), c’est très court pour résumer 3-4 ans de séries si bien que certains personnages sont pratiquement laissés pour compte au point où c’en serait peut-être insultant pour l’apport des acteurs des séries originales. Ainsi, dans 90 210, Brian Austin Green (Ross Linton) dit à peine deux mots et ne fait que danser alors que dans Melrose Place, Grant Show (Ryan Bruce) n’est là que pour montrer ses abdominaux. À l’opposé, il faut tout de même donner crédit à la production quant à son casting, à la fois pour le jeu ders acteurs que pour leur ressemblance parfois troublante aux « originaux » (Abbie Cobb/ Jennie Garth, Max Lloyd-Jones pour Jason Priestley; 90 210 et Chelsea Hobbs / Laura Leighton, Joseph John Coleman / Doug Savant pour Melrose)
La télévision des années 90
The Unauthorized Beverly Hills 90 210 / Melrose Place Story ont beau être prises avec un grain de sel quant à leur véridicité, reste qu’il y a des faits qu’on ne peut contester, par exemple les métiers qu’occupaient ces acteurs avant qu’ils ne se joignent à la série qui fera d’eux des stars ou encore certains traits de leur personnalité qu’on ne pouvait passer sous silence. Mais ce qui fascine surtout avec ces deux histoires, c’est l’univers télévisuel dans lequel elles ont évolué et surtout, les tabous qu’elles ont pu transgresser… ou pas. 25 ans en télévision, c’est très long et on s’en rend compte quand on apprend (ou remémore) que l’épisode où Brenda a perdu sa virginité a semé un tollé chez les Américains. À cause de cette pression d’un certain public, on a modifié les scénarios et le couple s’est séparé durant l’été après que Brenda ait eu peur d’être enceinte.
Du côté de Melrose Place, c’est quasiment un aveu d’échec de la part de Darren Star qui ne se reconnaissait plus dans son projet initial : le personnage de Rhonda (Karissa Tynes) était censé refléter en quelque sorte le quotidien d’une Afro-Américaine, mais la série s’étant vite transformée en soap. On n’a pas osé rendre son personnage détestable, de peur de se voir mettre à dos toute une communauté alors a donc préféré la faire quitter après seulement une saison.
Même chose pour le personnage de Matt, ouvertement homosexuel dans la série. Ouvertement est un grand mot puisque de peur de choquer l’Amérique, on a même dû censurer son premier baiser dans une scène mémorablement ridicule alors que selon le téléfilm, l’acteur même souhaitait réellement donner une voix à la communauté, mais ce fut peine perdue. Enfin, lorsqu’un producteur aussi expérimenté comme Aaron Spelling déconseille à son pupille Darren Star d’écrire sur un de ces sujets : « If you say anything about politics, religion, or the plight of the homeless, I swear to God… », on peut comprendre que le scénariste ait fini par tirer sa révérence.
De nos yeux de 2015, on a beau se moquer de ces histoires très prudes d’étudiants dans 90 210 ou du scénario de Melrose Place, rocambolesque à l’extrême, reste que la première a à son actif 294 épisodes en 10 saisons et rassemblait régulièrement plus de 15 millions de téléspectateurs par semaine. La seconde en compte 227 pour 7 saisons avec un maximum de plus de 13 millions pour sa première saison et près de 8 pour la finale. De nos jours, on compte sur les doigts d’une main des séries aussi populaires, comme le phénomène Empire, mais on doute que cette dernière cumule autant de saisons. Mais il faut aussi prendre en compte qu’à l’époque, ces émissions étaient de véritables rassemblements et qu’elles n’avaient nullement besoin des réseaux sociaux pour mousser leur popularité. C’est d’autant plus phénoménal que pour ces deux séries, on a donné la chance à des acteurs quasiment inconnus et que le succès a tout de même été au rendez-vous. Aucun grand network de nos jours ne prendrait ce risque.
Si on se tourne du côté francophone, ces séries sont arrivées environ 3 ou 4 ans après leur lancement en anglais (TF1 en France et TVA au Québec) et que sans internet, il nous était pratiquement impossible d’être au courant de l’évolution des personnages à pareille date dans la version initiale où même d’être au courant des potins ou tollés autour de ces séries. Ce « retard chronologique » n’affectait nullement les cotes d’écoute puisque par exemple, en 1994-1995, la deuxième saison de Beverly Hills 90 210 sur TVA a récolté en moyenne 39 % de parts de marchés alors que Melrose Place s’accaparait 31 % des parts : des scores énormes et rarement égalés pour des acquisitions internationales… Quand aujourd’hui on parle d’un âge d’or pour les séries, on a la mémoire bien courte.