Quatrième de couverture :
« J’ai vécu puisque tu voulais que je vive. Mais vécu comme je l’ai appris là-bas, en prenant les jours les uns après les autres. Il y en eut de beaux tout de même. T’écrire m’a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m’enserre le cœur. Je voudrais fuir l’histoire du monde, du siècle, revenir à la mienne, celle de Shloïme et sa chère petite fille. »
Bien sûr, on en a déjà tant et tant dit et écrit sur les camps de la mort. Bien sûr, il y a les grands textes d’Imre Kertesz, Robert Anthelme ou Primo Levi (dont j’ai bien sûr lu Si c’est un homme). Bien sûr, on connaît tout ça…
Bien sûr. Mais…
D’abord les survivants ne sont plus très nombreux et le travail de transmission de la mémoire est indispensable. Ce ne sera bientôt plus par les témoins directs mais par la médiation des livres, des films, et celui-ci prendra sa place parmi eux.
Ensuite le récit de Marceline Loridan-Ivens m’a prise à la gorge dès la première page. Parce qu’elle s’adresse directement à son père disparu à Auschwitz, dans une longue lettre d’amour inconsolé qui conte non seulement l’horreur (sans pathos, que ce soit bien clair) mais aussi l’impossibilité de vivre, de se reconstruire sans celui, le seul de la famille, qui a partagé l’arrestation, la déportation avec elle et qui n’est pas revenu : « Toi tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas » a-t-il deviné dès le départ. Au retour, pas de tombe pour rendre le deuil possible, une famille qui va éclater peu à peu, un frère et une soeur « malades des camps sans y être allés », et cette réalité impartageable (sauf avec les amies rescapées) qui s’est incrustée dans la tête et dans le corps de Marceline aussi profondément que le numéro tatoué sur son bras. Cette anecdote poignante sur Simone Veil. Cette impossibilité de transmettre la vie à son tour mais le goût de participer aux combats du monde, de tenter de montrer les luttes pour la liberté tout en assistant impuissante aux progrès du mal.
« Mais je l’ai redite cette phrase en après la guerre, malgré la suite, la peur du gaz, les crématoires, les cicatrices indélébiles sur mon corps et dans ma tête, je l’ai redite plus clairement encore : Je t’aimais tellement que j’étais heureuse d’être déportée avec toi. Et je peux la redire encore. Car avec le temps, l’ombre des camps sur ma vie se confond avec ton absence. Et c’est d’avoir vécu sans toi qui me pèse. » (p. 80-81)
Enfin, cette amertume qui transparaît sans cesse face à l’antisémitisme qui n’a jamais vraiment cessé, « trop profondément ancré dans les sociétés » (p. 104). Marceline évoque notamment la création de l’état d’Israël, toujours en guerre alors que les guerres ont toujours une fin normalement, la visite enfin possible d’Auschwitz-Birkenau et les attentats de New York en 2001 qui ont réveillé la conscience, le sentiment intime d’être juive.
Et le besoin d’écrire ce livre indispensable.
Marceline LORIDAN-IVENS avec Judith Perrignon, Et tu n’es pas revenu, Grasset, 2015
Encore un récit sur le thème « Nazisme, entre ravages et résistance ».
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