Adolf Hitler dans un roman situé après son suicide le 30
avril 1945, beaucoup l’ont fait. Les premiers en exploitant la rumeur selon
laquelle il n’était pas mort. On peut en rire, comme René Fallet dans Ersatz. Les amateurs d’uchronies font
prendre d’autres voies à la biographie. Pour Eric-Emmanuel Schmitt, Hitler est
entré à l’Ecole des Beaux-Arts de Vienne en 1908 (La part de l’autre). Pour Norman Spinrad, son échec en politique
l’a fait émigrer aux Etats-Unis (Rêve de
fer). Robert Harris ose le triomphe du Troisième Reich (Fatherland). Il y a les partisans du
clonage, d’Ira Levin (Ces garçons qui
venaient du Brésil) à François Saintonge (Dolfi et Marilyn).
Mais avait-on déjà endormi Hitler pendant 66 ans ?
C’est ce qui lui arrive dans Il est de retour, le premier roman de Timur Vermes, arrivé en français après un
immense succès en Allemagne. Et quelques polémiques sur la pertinence du sujet.
Le débat aurait pu s’éteindre très vite, il suffisait de lire l’ouvrage qui
contient sa propre justification. Nous y reviendrons.
Voici donc Hitler s’éveillant, en début d’après-midi, dans
un terrain vague à Berlin. Il porte son uniforme, certes un peu défraîchi,
s’étonne d’avoir dormi à la belle étoile et n’imagine pas le temps pendant
lequel il est resté inconscient. Il a besoin de savoir ce qui s’est passé et se
dirige vers un kiosque à journaux, où il espère trouver le Völkischer Beobachter ou le Stürmer.
Ces titres sont absents. En revanche, il y a abondance de journaux en turc. Et
le titre qui lui semble le plus familier, bien qu’il ne l’ait jamais vu, est le
Frankfurter Allgemeine Zeitung :
son titre est en caractères gothiques. La plus grande surprise est la date du
jour : 30 août 2011.
Il faut accepter l’évidence. Ainsi que les inconvénients de
la situation : Hitler n’a pas de logement, pas d’argent, pas de travail,
pas même d’habits de rechange. Il doit compter sur la bienveillance du
kiosquier pour l’héberger, malgré la ressemblance troublante avec un personnage
historique bien connu. Et sur la clientèle de l’endroit, constituée en partie
de producteurs et de gens de la télé, pour trouver un emploi. Il a déjà la tête
d’un emploi qui trouvera certainement à resservir…
Commence alors l’irrésistible ascension médiatique d’un
homme qui a déjà connu cela. Capable de s’adapter à sa nouvelle époque, il
comprend que les supports ont changé : la télévision vaut mieux que la
radio et YouTube, encore mieux que la télévision. Il n’a modifié en rien ses
théories. Pour les producteurs d’une émission, pour le public, c’est tellement
gros que l’effet comique est irrésistible, renforcé par le talent avec lequel
il incarne Adolf Hitler. Forcément : il est Adolf Hitler, bien qu’il soit le seul à en être convaincu.
Voilà où le romancier fait le lien entre le personnage
historique et la vacuité des médias, capables de remplir leurs tuyaux avec n’importe
quoi, pourvu que cela les remplisse, quelle que soit l’odeur. D’où les dérives,
dans la vie réelle, d’un humoriste – en 2011, dans le roman, Hitler commence sa
deuxième carrière dans une émission de divertissement – devenu fer de lance
d’une certaine extrême-droite. Hitler l’avait dit à Goering : « j’étais prêt à faire le guignol, s’il
le fallait, si cela permettait de capter l’attention des gens. » Après
que l’attention a été captée, il peut passer aux choses sérieuses : la
grandeur de l’Allemagne, la pureté de la race ou la haine des Juifs – qui ne
sont pas, comme il le répète plusieurs fois, un sujet de plaisanterie. Et pour
cause !
La justification de l’ouvrage, que nous vous
promettions plus haut ? Elle est dans une réponse que fait la directrice
de la société de production télévisée à Bild :
« Hitler révèle les contradictions
extrêmes de notre société ». Ce que fait aussi Timur Vermes dans Il est de retour.